29 mars 2011 2 29 /03 /mars /2011 14:47

 

Charmoye5Devant les grilles du château de la Charmoye, je songe un instant à ce qu'aurait pu être ma nuit en ces murs. Le châtelain est une connaissance d'un des pères de la communauté de Reims et j'aurais pu y demander l'hospitalité. La longueur des étapes en aura décidé autrement. A présent, je suis devant un choix cornélien. Suivre le descriptif reçu à Reims et sortir de la carte, ou rester sur la carte, mais faire un bout d'à travers tout pour retrouver un hypothétique chemin qui me mènera à bon port. Je balance un instant puis choisis l'à travers tout. Après avoir contourné une ferme, je passe la clôture d'un champ et vise le coin d'un bois dont je longe ensuite la lisière en espérant qu'un chemin prenne bientôt naissance de l'autre côté de la haie épaisse qui me sépare de la foret. Et le miracle s'accomplit. Le chemin, d'abord en très mauvais état, puis de plus en plus visible, apparaît, parallèle au champ, à l'intérieur du bois. Je finis par passer la clôture et me voici, tout guilleret et assez fier de moi, marchant plein pot et priant que le chemin ne me laisse pas tomber.

 

charmoye6

 

Charmoye7

 

Pause à la jonction avec la route suivie d'une longue portion de macadam. Au village suivant, je me ravitaille en eau. Petite causette avec le fermier qui remplit ma gourde. Traversée un peu fastidieuse de champs pour passer une crête, et retrouvailles avec les vignes. L'objectif du jour, le village de Baye, se rapproche. La dernière portion du chemin flâne à travers un beau bois puis rejoint une ancienne voie de chemin de fer qui me mènera à l'ancienne gare de Baye.

 

baye1

Première tentative de trouver un gîte dans un magnifique château tenu par une communauté religieuse, de celles qu'on appelle nouvelles. La sœur qui me reçoit, en habit comme il se doit, est toute désolée, mais la maison est pleine. Devant mon incrédulité vu la taille de la bâtisse, elle se perd en explications que je n'écoute qu'à moitié. Faut-il le dire, quand je demande l'hospitalité, je ne fais jamais mention de ma qualité de prêtre. Si je suis accueilli, c'est comme pèlerin que je veux l'être et pas comme prêtre ou religieux. Heureusement, elle m'indique une autre communauté présente dans le même village, un foyer de charité, où je trouverai peut-être de quoi m'héberger. A mon départ, alors qu'elle s'avise de m'offrir un peu d'eau, je refuse gentiment, mais fermement. Une manière, un peu puérile et idiote, je l'avoue, de répondre à un refus par un autre refus. Je me demande si elle comprend le message !

 

Au foyer de Charité, par contre, l'accueil est immédiat. La dame qui m'ouvre me mène jusqu'à une chambre magnifique, équipée d'une salle de bain privée, excusez du peu. Puis elle m'invite à prendre le goûter avec le reste de la communauté. Une retraite commence ce soir et je pourrai partager leur repas et concélébrer la messe avec le prêtre qui accompagnera les retraitants. Voilà un programme qui me convient parfaitement.

 

baye2

 

baye3

 

Après la douche, petite lessive. J'étends mes affaires à l'extérieur, sur une clôture en barbelé. Un groupe de jeunes, couchés dans l'herbe, devise joyeusement. Le prêtre qui anime la retraite, avec qui je concélèbre en début de soirée, a l'air d'un drôle de zigoto. Il pratique les effets oratoires avec une emphase qui me met presque mal à l'aise. Pourquoi en faire autant ? Ce n'est pas du théâtre ! Pendant le dîner, mon voisin de table entame une discussion à haute teneur philosophique. C'est un partisan convaincu du réalisme thomiste et il me plaît de prendre le rôle de l'idéaliste. Est-ce donc le monde qui informe notre esprit, ou l'esprit qui impose ses catégories au réel ? La discussion, un peu incongrue, nous passionne, mais nous isole également du reste des convives. J'attendrai la fin du repas pour en apprendre un peu plus sur mon autre voisine. Une dame d'origine africaine dont la sœur a fait le chemin de Saint-Jacques il y a quelques années. Le fait est suffisamment rare pour être mentionné, le continent africain étant à peu près totalement absent des chemins de Compostelle.

 

A l'issue du souper, je rentre dans mes appartements. Par la fenêtre, j'aperçois deux chevreuils qui broutent tranquillement dans la prairie de la propriété. C'est eux qui recevront, pour l'occasion, mes salutations du soir.

 

baye4

Partager cet article
Repost0
28 mars 2011 1 28 /03 /mars /2011 14:17

 

Charmoye1Réveil tout en fraîcheur. L'herbe du chemin est couverte d'un léger givre et une petite brume plane entre les arbres du sous-bois. Le lever, dans ces cas-là, est toujours un peu gauche. Le corps n'a qu'une envie : rester blotti au chaud, ne pas bouger, profiter encore un peu. A la sortie du sac, les muscles se raidissent, les mouvements se font au ralenti. La passage par la case torse nu lors du changement de vêtements à tout d'une épreuve initiatique. Une seule solution : se secouer et bouger énergiquement pour se réchauffer.

 

Mes activités matinales se font sous le regard curieux d'une petite mésange nonnette qui sautille de branche en branche dans un des buissons qui bordent le chemin. J'aime cette compagnie désintéressée et gratuite. Elle vient de se réveiller et marque, par un chant discret, son territoire. A moins qu'elle ne célèbre la joie de débuter une journée nouvelle ? Est-ce vraiment céder au péché d'anthropomorphisme que d'imaginer cette mésange toute au frémissement de profiter des premiers rayons du soleil levant ? Pourquoi le règne animal ne serait-il réduit qu'au fonctionnel ? Il n'y a pas de raison que seul l'humain connaisse ces envolées émotionnelles qui remplissent de joie, de bonheur ou de tristesse. La vie ne vivrait-elle pas partout des mêmes élans lorsqu'elle reçoit en cadeau un jour nouveau, sa clarté, sa fraîcheur et le mystère de ce qu'il deviendra ? Dire que je me livre à ces réflexions philosophiques à cet instant serait exagéré. Pour le coup, je savoure simplement avec reconnaissance cette présence pépiante qui habite mon réveil. C'est l'hôte de cette forêt qui me souhaite une belle et douce journée.

 

mesange.jpg

 

La marche commence par la traversée du bois de la Charmoye, fait de hautes futaies et de larges chemins forestiers. Tout est calme et serein, paisible. Les bruits de la forêt n'agressent ni l'oreille, ni l'âme, au contraire du grondement des voitures qui foncent sur la nationale, encore trop proche à mon goût. La nature ne connait que rarement le vrai silence. Au cœur d'une nuit sans vent peut-être. Car ce qu'on appelle silence se confond le plus souvent avec l'absence des bruits artificiels. Le vent dans les ramures, le chant des oiseaux ou le son d'un ruisseau caché sous les frondaisons, sont des sonorités d'une espèce différente de celles produites par les activités humaines. La musique naturelle ne fait pas de bruit. Elle pose, sur un silence fondamental, des touches sonores qui, loin de le détruire, en accentuent le relief.

 

Je me souviens d'une nuit dans un village africain. C'était l'heure intermédiaire où les bruits du jour se sont tus mais où ceux de la nuit ne s'élèvent pas encore dans l'obscurité. Il n'y avait, pour tout horizon sonore, que celui des voix humaines, issues des différents foyers où les villageois préparaient le repas du soir. Pour la première fois, je me trouvais dans un environnement totalement exempts de bruits mécaniques, artificiels. Aucun ronronnement, aucun grondement ou grincement continu ne venait couvrir le fond de silence sur lequel se détachait la musique des conversations humaines. On pouvait entendre, avec une clarté étonnante, les éclats de voix ou de rire, le crépitement des feux, les bruits de cuisine et identifier les différents foyers d'où ils provenaient. Mais ce qui me frappait par dessus tout, c'était le silence sous-jacent qui s'entendait en contraste. Ce matin, dans le bois de la Charmoye, ce ne sont pas les conversations qui révèlent le silence, mais les chants d'oiseaux et le son de mes propres pas.

 

Même le panneau habituel « propriété privée, entrée interdite » que j'ignore superbement ne trouble pas mon état d'esprit. J'imagine simplement ce que je répondrais au châtelain acariâtre qui me trouverait ce matin dans son bois. J'entonne le chant des psaumes. J'ai pris l'habitude de chanter à voix haute, lors de la première heure de marche, les psaumes que j'ai appris par cœur les soirs précédents. C'est ma manière de saluer la journée, de la confier au Seigneur et de m'ouvrir à tout ce qui pourra s'y vivre. J'achève à l'approche d'un bel étang dont aucun souffle de vent ne vient rider la surface. J'y prend une pause contemplative. C'est un véritable miroir et mon âme de photographe se réveille. Quelques clichés plus tard, je repars.

 

Charmoye2

 

Charmoye3

 

charmoye4

Partager cet article
Repost0
23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 18:48

 

Au départ de Reims, deuxième entorse à l'idéal du pèlerin. Un père de la communauté se propose pour me sortir de la ville et me mène en voiture jusqu'à Rilly-la-Montagne, en lisière de la grande forêt de Reims. Dix kilomètres d'économisés ! Un arrêt à la boulangerie pour me ravitailler et c'est reparti. Avec un petit pincement au cœur. A partir d'ici, et jusqu'à Vézelay, il n'y a plus de balisage. Je suis seul responsable de ma route.

 

Une série de cartes au cent millième, un peu juste pour une lecture précise, et les descriptifs de l'association des pèlerins de Reims photocopiés ou notés au vol, vont me guider pour les prochains jours. J'aime assez ne plus être sur des rails et la nécessité où je suis de tracer le chemin au jour le jour. Car ce n'est pas seulement la carte qu'il faut lire. C'est aussi le terrain : les embranchements et les carrefours, les villages, les rivières traversées. A chaque coïncidence, lorsque la carte et le réel se confirment mutuellement, c'est la joie d'être sur la bonne route. Et lorsque l'incertitude nait – est-ce ici la bifurcation à prendre, est-ce plus loin ? - une sorte d'inquiétude se met en place qui donne du goût au chemin. J'ai toujours aimé la lecture de carte. Une multitude de petites décisions sont à prendre et chaque confirmation que le chemin correspond met de bonne humeur. Il y a un peu de fierté là-dedans, celle d'être capable de tracer son chemin tout seul. Qu'un peu d'humilité vient bientôt tempérer, lorsque l'erreur survient et rallonge l'étape du jour proportionnellement à l'obstination, l'aveuglement ou la distraction dont j'aurai fait preuve !

 

Montagne de Reims

 

Montagne de Reims2

 

Grenouille

 

La traversée de la montagne de Reims se fait presqu'en ligne droite. Je croise quelques promeneurs avant de quitter cette longue route et d'emprunter un chemin qui me mène de l'autre côté de la forêt, en lisière de vignobles prestigieux. Le décalage est immédiat. L'opulence et la richesse qui transpirent partout s'adressent manifestement plus au touriste et à l'amateur fortuné de Champagne qu'au pèlerin que je suis. Un arrêt à l'église où est enterré le célèbre Dom Pérignon ne m'ôte pas cette impression de l'esprit. Pas plus que mon repas, pris sur une aire de pic-nique aménagée, assis contre un arbre. Tout à côté, une bonne famille flamande prend un repas arrosé de Champagne, comme il se doit. Éclats de rire et truculence sont au rendez-vous. Je souris intérieurement car ils ne peuvent se douter que je comprend leur « niet zo zeer beschaafd Nederlands ».

 

Hautvillers

 

Vignoble Champagne

 

Peu après, le chemin dégringole vers la Marne et son cours paisible. Traversée au petit village de Cumières. La route s'élève ensuite dans les vignobles pour contourner Épernay. Alors que je me réjouissais de traverser ces vignobles, la route se révèle interminable. Pour la première fois, une sorte de lassitude s'installe. Je suis censé suivre le balisage d'un GR mais les marques se font aléatoires. Ça m'agace ! Je me dirige au petit bonheur à travers les allées qui traversent les vignes et finis par retomber sur la route qui suit la vallée, pas très loin du point visé sur la carte. On a vu pire.

 

C'est la foire à Moussy. La foule a envahi la rue pentue que je dois emprunter. Une fois de plus, je me sens déplacé. J'allonge le pas tout en jetant un coup d’œil sur la brocante exposée. Rien de bien intéressant ! A la sortie du village, je m'affale sur un talus pour me reposer. Ce n'est vraiment pas la grande forme. Je grignote quelque chose avant de repartir. Serait-ce le jour de repos d'hier qui me met dans cet état ? La pause s'allonge. J'enlève mes souliers pour aérer mes pieds. Grignote un autre morceau de chocolat. Les petits gestes qui réconfortent le pèlerin en baisse de régime. Les gens ne cessent de débarquer de leurs voitures, par familles entières, pour se rendre à la foire. Que de choses sont dites, l'air de rien, dans la manière dont un père ou une mère parle à son enfant.

 

 

MoussyJe me décide enfin à repartir. La route monte sec vers une église au milieu des vignes. Ravitaillement en eau. Je suis à la lettre les indications du futur topo-guide reçu à Reims. Le chemin retrouve enfin un peu de sauvagerie. Il longe une foret, passe une ferme, guidé par une ligne à haute tension dont l'ingénieur en moi apprécie l'esthétique ! Une petite erreur et j'en suis quitte pour franchir une haie épineuse et sa clôture de barbelés. La longue route rectiligne qui suit, une de plus, me mène finalement au bois où j'ai décidé de bivouaquer. Je m'arrête avant d'atteindre la nationale, juste à côté d'un poste de chasseur. Il m’offrira son banc et sa tablette en guise de salon, ouvert à tous les vents. L'idéal pour le repas du soir.

 

Moussy2

 

Je savoure le calme du crépuscule. Après cette journée plus éprouvante que prévue, je profite enfin du moment présent. Alors que l'obscurité commence à tomber, retentit l'aboiement caractéristique d'un chevreuil. La première fois où j'ai entendu cet appel rauque et bref, je bivouaquais dans la lande de Lessay, en plein Cotentin. J'avais cru alors à un chien errant et veillé avec inquiétude, tout autour du campement, un bâton à la main, avant de comprendre de quoi il s'agissait. Le ridicule heureusement ne tue pas ! Cette fois, loin de m'inquiéter, l'aboiement du chevreuil me réjouirait plutôt. Cette nuit sera peuplée !

 

Bivouac

Partager cet article
Repost0
18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 12:30

Un jour de repos ne se raconte pas, il se savoure.

 

Pas de blabla donc pour aujourd'hui.

 

Simplement une série de portraits des personnages présents sur la façade de la cathédrale.

 

Cathedrale de Reims 1

 

Cathedrale de Reims 2

 

Cathedrale de Reims 3

 

Cathedrale de Reims 4

 

Cathedrale de Reims 5

 

Cathedrale de Reims 6

 

Cathedrale de Reims 7

 

Cathedrale de Reims 8

 

Cathedrale de Reims 10

 

Cathedrale de Reims 9

 

Et dire que certains parlent de l'obscurantisme du Moyen-Âge !

Partager cet article
Repost0
16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 23:29

Aujourd'hui, étape importante. Arrivée à Reims, et jour de repos prévu pour demain.

 

Dans mon esprit, le chemin se répartit en quelques grandes étapes symboliques. Reims en est la première. Vézelay, Saint Jean, Burgos, Leon et Santiago seront les suivantes. Rien d'original, bien sûr. N'importe qui diviserait sans doute le chemin de la même façon. Bien qu'en termes de distance ces étapes soient très inégales, psychologiquement, elles correspondent à quelque chose de bien précis : De Liège à Reims, le chemin suit, au moins théoriquement, un GR. Étape de mise en train, d'ajustement, d'entrée en randonnée. De Reims à Vézelay, l'inconnu. Le GR est bien trop long à suivre et je ne sais s'il existe un chemin balisé, passant par Troyes. Il faudra sans doute tracer ma route à la carte. Vézelay, en soi, est déjà un but de pèlerinage. Si, pour une raison ou l'autre, je devais m'arrêter avant, j'aurais le sentiment de ne pas avoir accompli ce pourquoi je suis parti. Mais tout ce qui viendra après sera donné comme par surcroît. De Vézelay à Saint Jean, c'est une sorte de tunnel, la partie la plus longue, la traversée de la France. Aucun des lieux que je traverserai ne m'évoque quoi que ce soit de particulier a priori. Bourges, Saint Léonard de Noblat, Limoges, toutes ces étapes majeures décrites dans les guides ne sont pour moi que des noms auxquels ne se rattachent aucune attente, aucune anticipation. Enfin viendra l'Espagne, avec la crainte que le chemin se transforme en autoroute et que la foule me vole mon pèlerinage.

 

Pour l'instant, je n'en suis pas encore là. A la sortie de Bazancourt, un brave homme, artiste peintre à ses heures, se propose de me montrer le chemin vers Reims et change l'itinéraire de sa promenade pour m'y conduire. Un peu plus loin, c'est un quinquagénaire qui s'arrête pour échanger quelques mots avec moi. Quand il sera retraité, lui aussi partira vers Compostelle. En attendant, il se contente d'en rêver en regardant passer les pèlerins qui empruntent les chemins de sa Champagne. Brèves rencontres qui habitent les premières heures du matin.

 

La journée est froide, mais d'une clarté éblouissante. Le ciel est bleu, presque blanc, et pas une trainée d'avion ne vient déchirer l'atmosphère. Un volcan islandais fait des siennes, je l'apprendrai ce soir, et paralyse le trafic aérien. Le paysage est de plus en plus plat et monotone. Pas un seul village jusqu'aux faubourg de Reims. L'itinéraire rejoint bientôt une voie romaine et, comme chacun sait, les romains ne s'embarrassaient guère de courbes, ni de détours. Les légions n'attendent pas. Tracée au cordeau, la voie file droit sur la grande ville dont les tours se devinent, dans une brume pâle, au loin.

 

Campagne-Champenoise-5.jpg

 

Campagne-Champenoise-1.jpg

 

Campagne-Champenoise-4.jpg

 

Une famille de lièvres tient conférence au milieu d'un champ puis s'éparpille à mon passage. Un autre s'enfuit le long du chemin. Une bergeronnette printanière bat la mesure de sa queue agile. Mes compagnons sont bien là, qui égaient ma marche matinale. Car pour le reste, c'est la grande solitude, le silence et le vide. Je savoure d'autant plus ce dernier tronçon aux larges horizons que le retour à la ville se rapproche. Comme une dernière bouffée de liberté avant de replonger dans le bruit et l'agitation. J'ai envie d'étendre les bras, d'absorber le paysage et l'espace qui m'entoure. Sensation de plénitude. Pourtant, je suis impatient d'arriver à la cathédrale de Reims et de découvrir l'accueil promis par l'association dont je suis le topo-guide depuis Rocroi. Je dois l'avouer, j'ai hâte. Hâte de partager avec des semblables un petit quelque chose de ces premiers jours de pèlerinage.

 

Campagne-Champenoise-2.jpg

 

Campagne-Champenoise-3.jpg

 

Campagne-Champenoise-6.jpg

 

La voie romaine s'achève sur une rocade. La ville de Bétheny constitue l'avant-garde de Reims. Je mange sur les marches de l'église mon pic-nique de midi. Ensuite, c'est la plongée dans la ville. Un pont traverse les innombrables lignes de chemin de fer d'une gare de formation. Mon pas est soutenu, presque militaire, pour arriver le plus vite possible au centre-ville. Peu avant la cathédrale, je m'arrête devant un monument en l'honneur de Louis XV : « le meilleur des rois qui, par la douceur de son gouvernement, fait le bonheur des peuples, 1765. » Dire que 28 ans plus tard on coupait la tête de son successeur ! La roche tarpéenne est décidément bien proche du Capitole...

 

Betheny.jpg

Reims 1

 

Reims-2.jpgDevant la cathédrale, je m'assied sur un rebord de pierre, savourant le moment. Il fait plus doux en ce début d'après-midi et les flâneurs profitent du soleil. J'entre dans la cathédrale. A une petite table, un membre de l'association Randonneurs et Pèlerins 51 attend le chaland. Nous engageons la conversation. Que dire ? Chaleur humaine, disponibilité, efficacité, solidarité pèlerine qui ne se paie pas de mot. Notre discussion se fait d'ailleurs tellement chaleureuse, de souvenirs en partages d'expériences, qu'un Cassandre vient nous dire que nous l'empêchons de prier ! Tu parles, Charles ! Apprenant que je suis jésuite, l'hospitalier donne un coup de fil à la communauté de Reims pour annoncer ma venue. Une chambre m'attend. Quand je lui demande si un chemin direct Troyes – Vézelay est déjà au point, il décroche à nouveau son téléphone, appelle le responsable des itinéraires et m'annonce sa venue deux heures plus tard ! Celui-ci, une heure durant, m'expliquera la route à suivre, toutes cartes étalées, et me donnera les descriptifs provisoires déjà établis ! Cet accueil est plus qu'exemplaire. Il me donne énergie et courage pour la suite. Je me réjouis déjà de tracer ma route à la carte durant les dix prochains jours.

 

La communauté jésuite n'est pas loin. A mon arrivée, un père âgé m'ouvre. Je décline mon identité et la magie opère. Immédiatement, je suis chez moi, à la maison. Quelques questions établissent la connexion : « J'ai bien connu le père untel. Et celui-là, que devient-il ? » Par chance, deux jeunes scolastiques, c'est ainsi qu'on appelle les jésuites en formation, sont dans la communauté. Je les accompagnerai à la messe à la cathédrale et passerai une excellente soirée avec eux.. Au programme, séance de cinéma : « Il faut sauver le soldat Ryan. » De la fraternité du Camino à la fraternité religieuse, cette journée m'aura gâté. Alléluia, et au dodo !

Partager cet article
Repost0
14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 21:05

 

P1010718.JPGIl y a des matins magiques où la lumière donne au monde une beauté particulière. Comme si la profondeur réelle des choses affleurait pour un instant à la surface. La transparence de l'air, une clarté nuancée de reflets ocres, la fraîcheur et le calme de l'atmosphère. Ce matin, au départ de Hauteville, est un de ces matins uniques. Le premier matin du monde. Pour moi seul, et, peut-être, pour ce fermier qui vient inspecter son champ dans une vieille camionnette Renault quatre. Qui sait ? Le seul mot qui convienne pour décrire cette heure est jubilation. Une jubilation simple, sans apprêts, un ravissement reçu avec reconnaissance, qui me remplit de joie. A tel point que je loupe une bifurcation du chemin et me retrouve sur une voie sans issue au milieu de champs tout juste ensemencés. Un coup d’œil au descriptif de l'itinéraire et je réalise mon erreur. Plutôt que de faire demi-tour, je coupe à travers champs, en prenant bien soin de marcher dans les traces du tracteur, entre les sillons constellés de jeunes pousses. Cinq cents mètres plus loin, me voici de retour sur la bonne route.

 

P1010720.JPG

 

Le changement de paysage est définitif. C'est la Champagne et ses étendues infinies. Une rangée d'éoliennes en guise d'horizon. Ces moulins à vent modernes vont m'accompagner pendant une bonne paire d'heures. Elles sont tellement hautes qu'elles donnent l'impression d'être toute proches, à portée de main. On a beau marcher, c'est à peine si elles grandissent. Belle épreuve pour le moral.

 

P1010724.JPG

 

P1010727.JPG

 

L'immensité de la campagne et la rareté des arbres pourrait faire croire à un désert. Mais c'est un désert plein de vie. Autour de moi, des alouettes s'élèvent inlassablement à la poursuite du soleil avant de retomber aussi vite se poser au sol. Leur chant baigne ma progression d'une sorte d'enveloppe sonore qui m'environne de gaieté. De loin en loin, ce sont des couples de cailles qui s'envolent en poussant leur cri caractéristique. Quant aux lièvres, je ne les compte plus. Dès qu'ils m'aperçoivent, ils se figent, toutes oreilles dressées, avant de s'enfuir prestement, ou de reprendre leurs jeux si la route où je chemine passe au large de leur position. C'est ainsi qu'une route interminable et monotone, au lieu du cauchemar redouté, se révèle d'une variété inattendue. Pas moyen de s'ennuyer. L'attention se porte sans cesse d'un point à l'autre. L'esprit, comme hors de lui-même, est tout à ces perceptions qui l'enchantent. Dans ces moments-là, pas besoin de louer Dieu. Toute parole ou tout regard réflexif viendrait briser ce qui se vit au présent. La seule louange qui tienne est de demeurer dans la contemplation, dans ce que la nature donne à voir, à entendre, à sentir, à percevoir.

 

P1010736.JPG

 

P1010806.JPG

 

Premier village du jour, Chateau-Porcien, son église, sa rivière et son canal. Au suivant, alors que je m'arrête devant l'église, un homme sort de sa maison et engage la conversation. Il reçoit régulièrement des pèlerins et ne se lasse pas de me dire le plaisir que cet accueil lui procure. Il est truculent au possible, un Français pur jus à mes yeux de petit Belge. Sa femme, un peu en retrait, participe à la conversation sur un mode mineur. « Les gens, ici, ne sont pas toujours très gentils. Cela fait trente-cinq ans qu'on habite là et je ne fréquente personne ! Je connais tout le monde, mais je ne fréquente personne. Je préfère rester dans mon « chez moi » ». Un « chez moi » tout rénové et blinquant comme un sou neuf. Cette complainte, combien de fois l'entendrai-je encore au long du chemin ? La vie dans les villages n'est jamais simple pour ceux qui viennent d'ailleurs.

 

La discussion reprend un ton plus masculin au gré de souvenirs, évoqués avec passion, de la guerre d'Algérie : « C'étaient des malins, ils tenaient les hauteurs. Moi, j'étais tireur de mitrailleuse sur half-track » Je n'insiste pas trop pour en savoir plus. Mais cette conversation m'interroge. Je ne suis qu'un inconnu qui passe et cet homme me raconte des souvenirs vieux de cinquante ans comme s'ils dataient d'hier. Combien de temps est-il resté là-bas comme appelé du contingent ? Un an, deux ? Et ces mois l'ont marqué au point de devenir une sorte de référence, un fond inépuisable auquel revenir sans cesse. Un épisode de vie tellement intense, fut-ce par la peur et l'horreur éprouvée, quoiqu'aussi, sans doute, par la camaraderie et la fraternité d'armes, qu'il devient la pierre angulaire de ce qu'une vie devrait être. Est-ce cela que je cherche en pèlerinant vers Compostelle ? Une intensité de vie différente de la routine habituelle ? Une vie qui mériterait,enfin, d'être racontée ? Question plus profonde qu'il n'y paraît. Faut-il déjà lui trouver une réponse ? Plus tard, peut-être. Il est de ces questions qui valent pour elles-mêmes plus que pour les réponses que l'on essaie, souvent en vain, de leur donner.

 

Je dîne un peu plus loin, sur un banc posé entre deux arbres. En visitant l'église, je suis tombé sur une statue de Sainte Germaine agrémentée d'un fragment d'histoire très locale la concernant. Je n'y aurais accordé aucune importance si cela ne m'évoquait pas une tante du même nom qui s'invite pour un temps dans mes réflexions.

 

P1010773.JPG

 

P1010765.JPG

 

P1010769.JPG

 

Les paysages, faits d'immensités et de courbes douces, sont toujours aussi beaux. Je ne m'en lasse pas. Quand vient l'heure de la pause, je m'abrite à l'abri d'une haie d'aubépine. Ses fleurs, resplendissantes, sont une merveille. Le cinéphile en moi murmure : « There is so much beauty in the world »... ce qui me semble bien plus approprié en cet endroit que dans la scène au sac en plastique du film original ! (American Beauty)

 

P1010784.JPG

 

P1010798.JPG

 

En cette fin d'après-midi, le vent redevient froid, la pluie menace. Elle commence même à tomber et j'enfile aussitôt ma tenue « spéciale intempéries ». Bien sûr, cinq cent mètres plus loin, l'averse s'arrête et j'en suis quitte pour me déharnacher. Faire et défaire, c'est toujours travailler. Alors que je remets mon sac, je vois soudain une petite harde de chevreuils qui détallent à travers champs, passent une haie puis s'arrêtent en me fixant du regard. Le temps de prendre quelques photos et ils s'éloignent plus tranquillement, disparaissant bientôt dans un repli du relief. Peu après, lors d'une escale technique, je trouve une belle plume de faisane. Je m'empresse de l'accrocher à mon sac. Une sorte de trophée, le premier, offert par le chemin !

 

P1010811.JPG

 

C'est un bar-tabac-hotel qui m'attend à Bazancourt. Sur la devanture, une coquille, un pèlerin et un panneau « Chemin de Compostelle » m'assurent que je suis au bon endroit. La chambre est bonne, mais le savon fait défaut dans la salle de bain. Je ferai tout de même une petite lessive. La patronne est sympathique, sa cuisine passable. Je note dans mon carnet de route : « Ventre affamé n'a pas de papilles gustatives. » Serais-je un peu sévère ? Le soir, je regarde un échange télévisé entre deux intellectuels comme seuls les Français peuvent en produire. L'éloquence et le style sont bien là. La parole est brillante, plaisante même à écouter. Quant aux idées... On ne peut pas tout demander !

 

« Luxe, calme et volupté ». C'est ce que me promet la nuit dans cette jolie chambre en mansarde. Et la promesse sera tenue !

Partager cet article
Repost0
7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 16:58

Avant de quitter Signy l'Abbaye, je passe par l'église, ouverte ce matin. Ai-je prié ? Un psaume trop vite récité, par habitude. L'esprit n'y est pas. Quelques courses ensuite, dont une pommade pour les muscles et les articulations. La douleur au talon d'Achille se tient toujours en embuscade. Hier, elle m'a tenu en haleine au démarrage. Je ne voudrais pas qu'elle recommence à me jouer des tours. Petite causette avec la pharmacienne, bien sympathique. Ses conseils à propos des tendinites ne sont malheureusement guère originaux : boire beaucoup, pas excès dans les kilomètres et se reposer en cas de douleur. A vrai dire, si j'ai sollicité son avis, c'est moins pour ce qu'elle peut me dire,que pour le plaisir de la conversation. Il est 10h00 bien tapées quand je quitte finalement Signy, non sans avoir hésité quelque peu sur la route à prendre.Mon timing de randonneur vient d'en prendre un coup ! 

 

P1010642.JPG

 

Traversée de forêt. Pause au premier village. Un village typiquement français, si j'ose dire, construit tout en longueur, le long de la route principale. J'observe la postière qui passe de maison en maison, avec sa voiture, pour effectuer sa tournée matinale. Comme souvent, j'essaie d'imaginer sa vie. Le lien social qu'elle représente pour tant de retraités. Sa visite est sans doute pour beaucoup l'événement du jour.

 

P1010656.JPG

 

P1010657

 

Plus tard, aux alentours de Wasigny, le paysage change. Les Ardennes cèdent le pas au bassin parisien. La foret se fait rare, les collines s’aplanissent, la culture remplace l’élevage. De gros tracteurs travaillent dans les champs. C'est le premier vrai changement de région. Pays de Champagne, nous voilà ! Pas de vignobles encore, ce sera pour le sud de Reims, mais des horizons qui s'ouvrent à l'infini.

 

P1010673.JPGUne confidence reçue quelques jours plus tôt d'un ancien pèlerin croisé par hasard en bord de Meuse, me revient en mémoire : « Le plus dur, ce fut la traversée de la Champagne. Des plaines immenses sans aucun repère, sans arbres... ça m'a paru vraiment très long ! » Ces horizons infinis ne me font pas peur. Au contraire ! De mes randonnées le long des côtes de la Manche, j'ai gardé des souvenirs éblouis de ces plages infinies, sans rien pour accrocher le regard. On y marche comme si chaque pas ne nous rapprochait de nulle-part. On ne se voit pas avancer et plutôt que l'abondance des sensations, c'est leur précision qui s'affine. Les détails apparaissent, la moindre variation devient un signe, le regard s'attarde. L'esprit, laissé à lui-même, s'emballe ou s'absente, selon les moments. Il ne manque pourtant pas de perceptions. Le vent, qui souffle toujours de quelque manière, le roulement de la mer, plus ou moins proche selon l'heure de la marée, la brûlure du soleil, la consistance variable du sable sous les pas, les oiseaux qui jouent avec les courants d'air, les vagues ou les dunes. Ce sont des heures pleines et heureuses dont on voudraient qu'elles durent toujours. Ici, pas de mer, mais un océan de blés en herbe, de champs à peine germés, de glaise crayeuse, en guise de sable, et qui s'accroche au soulier à la moindre pluie ! 

 

Wasigny

Mauvaise pioche. Au village où j'espérais me ravitailler, la boulangerie est fermée pour cause de vacances. Il va falloir économiser. Je prend une pause sous une belle halle en regardant jouer des enfants. Un peu plus loin, je demande à une charmante jeune femme occupée à jardiner si elle peut remplir ma gourde. Lorsqu'elle revient, la gourde pleine, elle ajoute « Et vous n'avez besoin de rien d'autre. » La politesse naturelle s'exprime plus vite que je ne voudrais : « Non, non, merci, j'ai tout ce qu'il me faut ». Et tandis que je m'éloigne, je peste en moi-même :« Mais pourquoi ne lui as-tu pas dit que

tu étais à court de pain ? » Manquerais-je de simplicité ?

 

Comment dire l'éblouissement qui me saisit peu après ? Le chemin a ici en réserve un de ces cadeaux dont il a le secret. Les haies qui le guident entre champs et pâtures sont en pleine floraison. C'est le printemps qui m'accueille et me souhaite la bienvenue. Je marche comme en apesanteur. Même l'incertitude quant au gîte du soir n'entame pas cette vague d'optimisme qui traverse tout l'après-midi. 

 

P1010676

 

A Hauteville, n'ayant pas trouvé le maire, j'attends patiemment le retour de la dame qui pourra m'ouvrir la salle municipale où je passerai la nuit. Quand elle arrive, Ô joie, la salle municipale destinée aux pèlerins de passage n'est autre que la salle d'honneur de la mairie. Les drapeaux français flottent fièrement au mur et le parquet usé devant la grosse table de bois qui trône au centre de la pièce témoigne des générations de mariages qui se sont célébré ici, depuis des lustres. 

 

P1010712.JPG

 

Mon souper est frugal. Une petite promenade digestive me fait découvrir le village. Il ne manque pas de cachet. Des hirondelles sont perchées sur un fil électrique. Encore le printemps qui me souhaite la bienvenue ! Avant dormir, je profite d'un reste de bibliothèque qui traine dans une armoire pour dévorer un vieux livre poussiéreux. Une bonne nuit en perspective m'attend, malgré le plancher en bois, un peu dur à mon goût.

 

Hauteville

 

Hirondelle

 

P1010706.JPG

Partager cet article
Repost0
2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 01:00

La journée commence par une visite au marché matinal qui s'installe sur la place centrale de Rocroi au moment où je démarre. Et une arnaque ! Une marchande de fruits et légumes me demande, l'air de rien, un prix exorbitant pour deux oranges. J'ai déjà perdu mes réflexes de consommateur attentif. Il me faut bien cent mètres pour me rendre compte que deux euros l'orange, c'est quand même un peu beaucoup ! J'en serai quitte pour les savourer le plus lentement possible lors de mes prochaines poses !

 

P1010564.JPGCe matin, mes jambes sont en coton. J'ai l'impression de ne pas avancer. Bientôt, alors que je suis parti en premier du refuge, les deux hollandais avec qui j'ai passé la nuit me rattrapent successivement et me laissent littéralement sur place. Dur pour le moral. Qu'à cela ne tienne, une première orange va y passer ! Et petit à petit, le rythme redevient normal et la marche un plaisir. Le corps a ses raisons...

 

La route dessine bientôt de longues perspectives avant d'entrer plus avant dans la forêt. Seconde pause au bord d'un étang. Et seconde orange. Le paysage est toujours bien ardennais. Au sortir de la forêt, la route vallonnée parcourt des prairies dont l'herbe n'a pas encore pris la couleur du printemps. Au franchissement d'une rivière, surprise ! Un de mes hollandais prend sa pause. Mon rythme n'est donc pas si lent ! Un petit salut et je continue par la rue bien nommée de Jésus-Christ... ça ne s'invente pas.

 

P1010566.JPG

 

Milan noir

 

Un milan noir plane dans le ciel. L'heure de midi approche. Je m'arrête au Hameau de l’Échelle pour déjeuner. Une jolie ferme château, une belle église, malheureusement fermée. Il y a ici une atmosphère qui me séduit, un je ne sais quoi de méridional : la couleur des pierres peut-être ? Je mange, assis sur le bas-côté de la route. Un enfant joue avec son vélo. Avant de repartir, j'irai encore me ravitailler en eau au hasard d'une porte hospitalière. Le fond de l'air est doux, le village paisible et mon esprit sans inquiétude. Dans une randonnée, il y a, de loin en loin, des moments discrets et précieux comme celui-ci. Une grâce particulière. Difficile de dire exactement pourquoi. Se produit une sorte de conjonction de sentiments, d'impressions, de perceptions, qui donnent au temps une plénitude tranquille. D'autant plus forte qu'elle est inattendue. Et qui se révèle quand le départ en brise la magie. Voilà exactement pourquoi je pars et repars à chaque fois sur les chemins.

 

Hameau de l'Echelle

 

Saint Pierre au Hameau de l'Echelle

 

Hameau de l'Echelle

 

A la sortie du village, première discordance entre le descriptif du chemin et le balisage, discret certes, mais néanmoins très clair, que je suis depuis ce matin. Après une hésitation, je préfère les balises. Bien m'en prend car le chemin se révèle particulièrement agréable, qui traverse de vastes champs dont Virgile aurait pu chanter la quiétude. Au loin, en contrebas, la route et son macadam. Pas de regret. A leur jonction, deuxième surprise. Le second hollandais en pleine sieste. Un brin de causette résout le dilemme du jour. J’irai finalement jusque Signy l'Abbaye. Cela rallonge un peu l'étape, mais il est encore tôt et je me sens en forme.

 

P1010628.JPG

 

Au téléphone, la dame responsable de la chaîne d'hospitalité est ennuyée. Elle reçoit chez elle et ne peut m'héberger ce soir. Elle me promet une solution et un coup de fil pour m'en avertir. Il n'y a qu'à me laisser faire ! Cette fois, je quitte le chemin officiel pour prendre un raccourci, évident sur la carte. Chaque raccourci donne un petit coup d'adrénaline. Car si les responsables du balisage ont cru utile d'éviter cet itinéraire, c'est peut-être pour une bonne raison qui ne se voit pas sur la carte ! Mais non, le chemin est parfait et me mène vers une grosse ferme où je rejoins l'itinéraire normal. J'apprendrai plus tard, à Reims, que le chemin est impraticable par temps de pluie. Un bon point pour moi, aujourd'hui !

 

Parlant de pluie, le temps s'assombrit de plus en plus. Étonnant comme la perspective d'une averse change la tonalité de la marche, alors que quelques gouttes n'ont jamais tué personne. Comme une menace qui fait presser le pas ! Un coup de fil m'avertit qu'il n'y a pas encore de solution pour mon hébergement. La dame, toujours très gentille, me promet une dernière tentative. Je ne m'inquiète guère. Toujours la confiance, quelqu'un s'occupe de moi !

 

P1010636.JPG

La pluie qui menace finit par tomber en hallebardes juste au moment où un pont à l'entrée de Signy m'offre son abri. J'attends patiemment que l'averse s'apaise puis fait quelques courses au premier magasin rencontré. Après m'être un peu perdu dans le village, je finis par trouver la maison de ma correspondante téléphonique. Très vieille France, elle m'entretient de l'histoire du village tout en tamponnant mon credencial. Puis elle m'indique la salle de sport qui me servira de gîte pour la nuit. La concierge m'accueille chaleureusement et me montre la disposition des lieux avant de m'en donner la clé.

 

Premier logement un peu exotique mais l'essentiel est d'avoir un toit. Il y a d'ailleurs tables, chaises, évier et chauffage. Que demande le peuple ? Un dîner frugal et me voilà déjà plongé au fond de mon sac. Le sol sera dur, cette nuit, mais cet abri me plaît. Un rien et je me sens à la maison Chaque jour un lieu différent, et chaque jour chez soi ! C'est ça aussi la magie de la randonnée.

Partager cet article
Repost0
20 février 2011 7 20 /02 /février /2011 17:14

Je dîne pour la dernière fois en Belgique. Bientôt, à la même heure, je déjeunerai en France ! Assis sur un banc près de l'église, j'ai fait mes courses dans une épicerie comme on n'en trouve qu'au fin fond des Ardennes. Elle avait plus d'un garage, aggrémenté de quelque étagères suédoises, que du magasin attendu. Mais l'accueil chaleureux y contraste heureusement avec l'aménagement élémentaire des lieux. De retour dehors, le vent froid m'encourage à expédier mon repas en quatrième vitesse et à repartir aussi vite.

 

P1010544.JPG

Retour dans la forêt. Une longue traversée m'attend, solitaire et désolée, jusqu'à la frontière. Pour la première fois, j'ai le sentiment oppressant de mon isolement. La forêt semble immense et vide, presqu'inhospitalière. Interminable aussi. Au beau milieu, je récite un chapelet. Je le chante plutôt, en rythme sur la marche. C'est plus une façon de m'encourager que de prier. Mais qui jugera la différence ? Ce temps m'aide à apprivoiser l'immensité boisée. A la pause suivante, je prends tout mon temps, écoute les bruits de la foret, apprécie pleinement ce repos, assis au bord du chemin et grignotant un morceau de chocolat. Savoir prendre une pause sans penser à rien. Quel bonheur !

 

Pourtant, avec l'heure qui avance, la dissonance revient de plus belle. Il commence à se faire tard. Voyant que j'atteindrai Rocroi après la fermeture de l'office du tourisme, je me décide à téléphoner pour signaler mon arrivée. Une très gentille dame me répond qu'elle me retéléphonera avant de rentrer chez elle pour m'indiquer comment trouver la clé si je ne suis pas encore parvenu à destination à ce moment-là. Fini de flâner semble-t-il !

 

P1010549.JPG

Impossible de savoir exactement quand j'ai passé la frontière. Simplement, je constate à la sortie du bois que c'est la France. La France ! Pays de vacances ! La fatigue s'envole et c'est plein d'énergie que j'entame la dernière ligne droite pour rejoindre Rocroi. Un panneau de la FFRP indique Compostelle à 2543 kilomètres. De la terre à la lune, le décollage a à peine commencé ! Quoi qu'il en soit, ce chiffre m'encourage à couper au plus court jusqu'à Vézelay et à ne pas suivre le GR au-delà comme prévu initialement. Je n'ai plus les cent jours minimum pour suivre cet itinéraire.

 

J'accélère la cadence pour ne pas arriver trop tard au refuge. Un coup de fil de la dame du syndicat d'initiative m'annonce que deux autres pèlerins sont déjà arrivés. Je n'aurai qu'à me présenter directement sur place, elle leur a donné la clé. Je serai le troisième et dernier hôte du jour, puisque le gîte n'a que trois places. Ouf ! Juste à temps.

 

C'est une "magnifique" rocade d'autoroute qui m'accueille à Rocroi. Bienvenue dans la civilisation. Je suis les indications données par téléphone et parvient sans encombre au refuge. Ce que j'aperçois de la ville me laisse dubitatif. Les remparts de Vauban, des rues en étoiles autour d'une place centrale où trône l'église et la mairie, des maisons si typiquement du nord que je pourrais me croire dans un faubourg populaire de Liège. Pour le dépaysement, on repassera ! Par contre, question dépaysement, je suis servi avec l'accueil des deux pèlerins qui m'ont précédé aujourd'hui. Deux hollandais, comme il se doit. Dont un répand une odeur de bouc à réveiller un mort. Hélas, pas de réaction de sa part quand je tonitrue qu'il est temps de prendre une douche !

Rocroi

 

Rocroi

 

Au souper, je veux dire au dîner, l'un des deux compères s'en va au restaurant. Nous restons donc à deux pour partager nos pitances. Je profite allègrement des spaghettis de mon compagnon et partage avec lui mon chocolat. La conversation roule, dans un néerlandais hésitant et quelque peu rouillé pour ma part. Il est loin le temps où je parlais couramment la langue de Vondel. 17 ans depuis mon départ de Bruges où j'ai vécu deux ans à mon entrée dans la Compagnie de Jésus. Avant dormir, je sors pour faire un dernier tour en ville. Qui confirme ma première impression. Morne et désolée. Je chantonne un office du soir raccourci dans les rues désertes, puis m'empresse de rentrer, poussé dans le dos par un petit crachin et une bise glaciale. L'intérieur surchauffé du refuge a une telle allure de paradis que j'en oublie les effluves épicées qui se répandent à nouveau à l'heure du coucher. La nuit sera bonne !

Partager cet article
Repost0
18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 15:08

Aujourd'hui, jour important. Passage de ma première frontière. A pied, les changements de pays ont quelque chose de paradoxal. Car les paysages, les reliefs, la nature ne changent pas au passage de la douane. Seuls, certains détails de l'environnement humain se modifient. Les panneaux routiers, bien sûr, l'accent des personnes rencontrées, les produits proposés dans les magasins, les horaires d'ouverture ! Tout est à la fois semblable et différent. Mais c'est surtout dans l'esprit que le changement se fait. Je suis désormais « à l'étranger ». Ailleurs. Encore un nouveau départ.

 

En attendant, c'est toujours la Belgique et j'ai profité du confort de la chambre d'hôte pour étudier la carte du topo-guide et repérer le plus de raccourcis possibles. Je ne suis pas sûr en effet d'avoir assez de jours disponibles pour parvenir à Compostelle. A partir de Vézelay, le nombre d'étapes jusqu'à Saint-Jacques est bien déterminé, si l'on en crois les guides que j'ai pu consulter. Mais jusqu'à Vézelay, c'est le flou artistique. Le GR est beaucoup trop long. De Rocroi à Reims, une association propose un itinéraire bis qui économise pas mal de kilomètres. De Reims à Vézelay, j'espère trouver un itinéraire direct passant par Troyes. Mais jusqu'à Rocroi, j'en suis quitte pour tracer mon chemin d'après le topo-guide en prenant tous les raccourcis possibles et imaginables, tout en évitant au maximum les routes. A vrai dire, j'aime assez tracer mon itinéraire à la carte. Je pense avoir gagné un jour, soit une trentaine de kilomètres en faisant de la sorte.

 

Pour l'instant, c'est d'un pas léger à l'idée de m'approcher de la France que je quitte le petit village de Mazée où j'ai passé une excellente nuit et partagé avec mon hôtesse un délicieux petit-déjeuner agrémenté de confitures maisons.

 

P1010514.JPG

J'arrive bientôt au fameux village de Treignes, connu pour être la patrie d'Arthur Masson et de son Toine Culot. Toine, l'obèse ardennais qui a bercé mes lectures d'enfance. Crises de fou rire garanties. Avec T Deome, le droguiste Pestiaux-Ronvaux, Lalie Lalouette, Molonzef et tant d'autres, c'est toute une galerie de figures, tantôt attendrissantes, tantôt désopilantes, qui ont peuplé mon imaginaire. Pourtant, est-ce le temps, maussade et froid, ou mon humeur, je ne retrouve rien de la chaleur humaine qui enchantait ces histoires dans ce village gris et désert. Je ne m'attarde pas.

 

Le reste de la matinée demeure sous la signe de la grisaille. Les villages, avec leurs maisons construites en grosses pierres de taille, doivent être très jolis en été, quand le soleil et les fleurs les habillent de couleurs. Mais pour l'heure, c'est plutôt morne. Peu après Vierves-sur-Viroin, je quitte le GR. J'ai tracé ma route droit à travers la forêt jusqu'à Oignies-en-Tiérache, dernier village avant la frontière. Le chemin officiel se paie un détour pour passer par un autre hameau. A quoi bon, s'il est aussi déprimant que tous ceux traversés jusque là ?

 

P1010545.JPGLa forêt se révèle parfaitement accordée à l'humeur du jour. De grands conifères assombrissent le chemin qui va droit devant lui. Mais, surprise, alors que les villages donnaient à la grisaille le ton de la déprime, la forêt lui donne une atmosphère évocatrice qui chasse le spleen qui menaçait de s'installer. L'odeur de la mousse humide et des champignons, mêlée à celle des aiguilles de sapin, le chant du vent dans les ramures, comme celui d'une basse continue, le gris des nuages et le vert foncé des arbres, le tout se fond dans une sorte d'harmonie septentrionale qui m'emporte.

 

J'ai beau être randonneur dans l'âme, je suis toujours saisi de voir comment le chemin peut offrir de ces cadeaux soudain, inattendus, qui consolent de bien des monotonies. Pour un moment, une sorte de convergence se met en place et tout résonne dans une harmonie où ne manque même pas la petite dissonance qui rend l'ensemble si ajusté. Dissonance ? Ce peut être une ampoule qui ne se laisse pas oublier, un vent un peu trop froid, une chaussette mouillée qui ne sèche pas assez vite. Cette fois, la dissonance n'est autre que mon inquiétude d'arriver trop tard à Rocroi pour trouver une place au gîte municipal.

Partager cet article
Repost0