18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 15:08

Aujourd'hui, jour important. Passage de ma première frontière. A pied, les changements de pays ont quelque chose de paradoxal. Car les paysages, les reliefs, la nature ne changent pas au passage de la douane. Seuls, certains détails de l'environnement humain se modifient. Les panneaux routiers, bien sûr, l'accent des personnes rencontrées, les produits proposés dans les magasins, les horaires d'ouverture ! Tout est à la fois semblable et différent. Mais c'est surtout dans l'esprit que le changement se fait. Je suis désormais « à l'étranger ». Ailleurs. Encore un nouveau départ.

 

En attendant, c'est toujours la Belgique et j'ai profité du confort de la chambre d'hôte pour étudier la carte du topo-guide et repérer le plus de raccourcis possibles. Je ne suis pas sûr en effet d'avoir assez de jours disponibles pour parvenir à Compostelle. A partir de Vézelay, le nombre d'étapes jusqu'à Saint-Jacques est bien déterminé, si l'on en crois les guides que j'ai pu consulter. Mais jusqu'à Vézelay, c'est le flou artistique. Le GR est beaucoup trop long. De Rocroi à Reims, une association propose un itinéraire bis qui économise pas mal de kilomètres. De Reims à Vézelay, j'espère trouver un itinéraire direct passant par Troyes. Mais jusqu'à Rocroi, j'en suis quitte pour tracer mon chemin d'après le topo-guide en prenant tous les raccourcis possibles et imaginables, tout en évitant au maximum les routes. A vrai dire, j'aime assez tracer mon itinéraire à la carte. Je pense avoir gagné un jour, soit une trentaine de kilomètres en faisant de la sorte.

 

Pour l'instant, c'est d'un pas léger à l'idée de m'approcher de la France que je quitte le petit village de Mazée où j'ai passé une excellente nuit et partagé avec mon hôtesse un délicieux petit-déjeuner agrémenté de confitures maisons.

 

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J'arrive bientôt au fameux village de Treignes, connu pour être la patrie d'Arthur Masson et de son Toine Culot. Toine, l'obèse ardennais qui a bercé mes lectures d'enfance. Crises de fou rire garanties. Avec T Deome, le droguiste Pestiaux-Ronvaux, Lalie Lalouette, Molonzef et tant d'autres, c'est toute une galerie de figures, tantôt attendrissantes, tantôt désopilantes, qui ont peuplé mon imaginaire. Pourtant, est-ce le temps, maussade et froid, ou mon humeur, je ne retrouve rien de la chaleur humaine qui enchantait ces histoires dans ce village gris et désert. Je ne m'attarde pas.

 

Le reste de la matinée demeure sous la signe de la grisaille. Les villages, avec leurs maisons construites en grosses pierres de taille, doivent être très jolis en été, quand le soleil et les fleurs les habillent de couleurs. Mais pour l'heure, c'est plutôt morne. Peu après Vierves-sur-Viroin, je quitte le GR. J'ai tracé ma route droit à travers la forêt jusqu'à Oignies-en-Tiérache, dernier village avant la frontière. Le chemin officiel se paie un détour pour passer par un autre hameau. A quoi bon, s'il est aussi déprimant que tous ceux traversés jusque là ?

 

P1010545.JPGLa forêt se révèle parfaitement accordée à l'humeur du jour. De grands conifères assombrissent le chemin qui va droit devant lui. Mais, surprise, alors que les villages donnaient à la grisaille le ton de la déprime, la forêt lui donne une atmosphère évocatrice qui chasse le spleen qui menaçait de s'installer. L'odeur de la mousse humide et des champignons, mêlée à celle des aiguilles de sapin, le chant du vent dans les ramures, comme celui d'une basse continue, le gris des nuages et le vert foncé des arbres, le tout se fond dans une sorte d'harmonie septentrionale qui m'emporte.

 

J'ai beau être randonneur dans l'âme, je suis toujours saisi de voir comment le chemin peut offrir de ces cadeaux soudain, inattendus, qui consolent de bien des monotonies. Pour un moment, une sorte de convergence se met en place et tout résonne dans une harmonie où ne manque même pas la petite dissonance qui rend l'ensemble si ajusté. Dissonance ? Ce peut être une ampoule qui ne se laisse pas oublier, un vent un peu trop froid, une chaussette mouillée qui ne sèche pas assez vite. Cette fois, la dissonance n'est autre que mon inquiétude d'arriver trop tard à Rocroi pour trouver une place au gîte municipal.

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