16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 23:29

Aujourd'hui, étape importante. Arrivée à Reims, et jour de repos prévu pour demain.

 

Dans mon esprit, le chemin se répartit en quelques grandes étapes symboliques. Reims en est la première. Vézelay, Saint Jean, Burgos, Leon et Santiago seront les suivantes. Rien d'original, bien sûr. N'importe qui diviserait sans doute le chemin de la même façon. Bien qu'en termes de distance ces étapes soient très inégales, psychologiquement, elles correspondent à quelque chose de bien précis : De Liège à Reims, le chemin suit, au moins théoriquement, un GR. Étape de mise en train, d'ajustement, d'entrée en randonnée. De Reims à Vézelay, l'inconnu. Le GR est bien trop long à suivre et je ne sais s'il existe un chemin balisé, passant par Troyes. Il faudra sans doute tracer ma route à la carte. Vézelay, en soi, est déjà un but de pèlerinage. Si, pour une raison ou l'autre, je devais m'arrêter avant, j'aurais le sentiment de ne pas avoir accompli ce pourquoi je suis parti. Mais tout ce qui viendra après sera donné comme par surcroît. De Vézelay à Saint Jean, c'est une sorte de tunnel, la partie la plus longue, la traversée de la France. Aucun des lieux que je traverserai ne m'évoque quoi que ce soit de particulier a priori. Bourges, Saint Léonard de Noblat, Limoges, toutes ces étapes majeures décrites dans les guides ne sont pour moi que des noms auxquels ne se rattachent aucune attente, aucune anticipation. Enfin viendra l'Espagne, avec la crainte que le chemin se transforme en autoroute et que la foule me vole mon pèlerinage.

 

Pour l'instant, je n'en suis pas encore là. A la sortie de Bazancourt, un brave homme, artiste peintre à ses heures, se propose de me montrer le chemin vers Reims et change l'itinéraire de sa promenade pour m'y conduire. Un peu plus loin, c'est un quinquagénaire qui s'arrête pour échanger quelques mots avec moi. Quand il sera retraité, lui aussi partira vers Compostelle. En attendant, il se contente d'en rêver en regardant passer les pèlerins qui empruntent les chemins de sa Champagne. Brèves rencontres qui habitent les premières heures du matin.

 

La journée est froide, mais d'une clarté éblouissante. Le ciel est bleu, presque blanc, et pas une trainée d'avion ne vient déchirer l'atmosphère. Un volcan islandais fait des siennes, je l'apprendrai ce soir, et paralyse le trafic aérien. Le paysage est de plus en plus plat et monotone. Pas un seul village jusqu'aux faubourg de Reims. L'itinéraire rejoint bientôt une voie romaine et, comme chacun sait, les romains ne s'embarrassaient guère de courbes, ni de détours. Les légions n'attendent pas. Tracée au cordeau, la voie file droit sur la grande ville dont les tours se devinent, dans une brume pâle, au loin.

 

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Une famille de lièvres tient conférence au milieu d'un champ puis s'éparpille à mon passage. Un autre s'enfuit le long du chemin. Une bergeronnette printanière bat la mesure de sa queue agile. Mes compagnons sont bien là, qui égaient ma marche matinale. Car pour le reste, c'est la grande solitude, le silence et le vide. Je savoure d'autant plus ce dernier tronçon aux larges horizons que le retour à la ville se rapproche. Comme une dernière bouffée de liberté avant de replonger dans le bruit et l'agitation. J'ai envie d'étendre les bras, d'absorber le paysage et l'espace qui m'entoure. Sensation de plénitude. Pourtant, je suis impatient d'arriver à la cathédrale de Reims et de découvrir l'accueil promis par l'association dont je suis le topo-guide depuis Rocroi. Je dois l'avouer, j'ai hâte. Hâte de partager avec des semblables un petit quelque chose de ces premiers jours de pèlerinage.

 

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La voie romaine s'achève sur une rocade. La ville de Bétheny constitue l'avant-garde de Reims. Je mange sur les marches de l'église mon pic-nique de midi. Ensuite, c'est la plongée dans la ville. Un pont traverse les innombrables lignes de chemin de fer d'une gare de formation. Mon pas est soutenu, presque militaire, pour arriver le plus vite possible au centre-ville. Peu avant la cathédrale, je m'arrête devant un monument en l'honneur de Louis XV : « le meilleur des rois qui, par la douceur de son gouvernement, fait le bonheur des peuples, 1765. » Dire que 28 ans plus tard on coupait la tête de son successeur ! La roche tarpéenne est décidément bien proche du Capitole...

 

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Reims-2.jpgDevant la cathédrale, je m'assied sur un rebord de pierre, savourant le moment. Il fait plus doux en ce début d'après-midi et les flâneurs profitent du soleil. J'entre dans la cathédrale. A une petite table, un membre de l'association Randonneurs et Pèlerins 51 attend le chaland. Nous engageons la conversation. Que dire ? Chaleur humaine, disponibilité, efficacité, solidarité pèlerine qui ne se paie pas de mot. Notre discussion se fait d'ailleurs tellement chaleureuse, de souvenirs en partages d'expériences, qu'un Cassandre vient nous dire que nous l'empêchons de prier ! Tu parles, Charles ! Apprenant que je suis jésuite, l'hospitalier donne un coup de fil à la communauté de Reims pour annoncer ma venue. Une chambre m'attend. Quand je lui demande si un chemin direct Troyes – Vézelay est déjà au point, il décroche à nouveau son téléphone, appelle le responsable des itinéraires et m'annonce sa venue deux heures plus tard ! Celui-ci, une heure durant, m'expliquera la route à suivre, toutes cartes étalées, et me donnera les descriptifs provisoires déjà établis ! Cet accueil est plus qu'exemplaire. Il me donne énergie et courage pour la suite. Je me réjouis déjà de tracer ma route à la carte durant les dix prochains jours.

 

La communauté jésuite n'est pas loin. A mon arrivée, un père âgé m'ouvre. Je décline mon identité et la magie opère. Immédiatement, je suis chez moi, à la maison. Quelques questions établissent la connexion : « J'ai bien connu le père untel. Et celui-là, que devient-il ? » Par chance, deux jeunes scolastiques, c'est ainsi qu'on appelle les jésuites en formation, sont dans la communauté. Je les accompagnerai à la messe à la cathédrale et passerai une excellente soirée avec eux.. Au programme, séance de cinéma : « Il faut sauver le soldat Ryan. » De la fraternité du Camino à la fraternité religieuse, cette journée m'aura gâté. Alléluia, et au dodo !

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