23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 18:48

 

Au départ de Reims, deuxième entorse à l'idéal du pèlerin. Un père de la communauté se propose pour me sortir de la ville et me mène en voiture jusqu'à Rilly-la-Montagne, en lisière de la grande forêt de Reims. Dix kilomètres d'économisés ! Un arrêt à la boulangerie pour me ravitailler et c'est reparti. Avec un petit pincement au cœur. A partir d'ici, et jusqu'à Vézelay, il n'y a plus de balisage. Je suis seul responsable de ma route.

 

Une série de cartes au cent millième, un peu juste pour une lecture précise, et les descriptifs de l'association des pèlerins de Reims photocopiés ou notés au vol, vont me guider pour les prochains jours. J'aime assez ne plus être sur des rails et la nécessité où je suis de tracer le chemin au jour le jour. Car ce n'est pas seulement la carte qu'il faut lire. C'est aussi le terrain : les embranchements et les carrefours, les villages, les rivières traversées. A chaque coïncidence, lorsque la carte et le réel se confirment mutuellement, c'est la joie d'être sur la bonne route. Et lorsque l'incertitude nait – est-ce ici la bifurcation à prendre, est-ce plus loin ? - une sorte d'inquiétude se met en place qui donne du goût au chemin. J'ai toujours aimé la lecture de carte. Une multitude de petites décisions sont à prendre et chaque confirmation que le chemin correspond met de bonne humeur. Il y a un peu de fierté là-dedans, celle d'être capable de tracer son chemin tout seul. Qu'un peu d'humilité vient bientôt tempérer, lorsque l'erreur survient et rallonge l'étape du jour proportionnellement à l'obstination, l'aveuglement ou la distraction dont j'aurai fait preuve !

 

Montagne de Reims

 

Montagne de Reims2

 

Grenouille

 

La traversée de la montagne de Reims se fait presqu'en ligne droite. Je croise quelques promeneurs avant de quitter cette longue route et d'emprunter un chemin qui me mène de l'autre côté de la forêt, en lisière de vignobles prestigieux. Le décalage est immédiat. L'opulence et la richesse qui transpirent partout s'adressent manifestement plus au touriste et à l'amateur fortuné de Champagne qu'au pèlerin que je suis. Un arrêt à l'église où est enterré le célèbre Dom Pérignon ne m'ôte pas cette impression de l'esprit. Pas plus que mon repas, pris sur une aire de pic-nique aménagée, assis contre un arbre. Tout à côté, une bonne famille flamande prend un repas arrosé de Champagne, comme il se doit. Éclats de rire et truculence sont au rendez-vous. Je souris intérieurement car ils ne peuvent se douter que je comprend leur « niet zo zeer beschaafd Nederlands ».

 

Hautvillers

 

Vignoble Champagne

 

Peu après, le chemin dégringole vers la Marne et son cours paisible. Traversée au petit village de Cumières. La route s'élève ensuite dans les vignobles pour contourner Épernay. Alors que je me réjouissais de traverser ces vignobles, la route se révèle interminable. Pour la première fois, une sorte de lassitude s'installe. Je suis censé suivre le balisage d'un GR mais les marques se font aléatoires. Ça m'agace ! Je me dirige au petit bonheur à travers les allées qui traversent les vignes et finis par retomber sur la route qui suit la vallée, pas très loin du point visé sur la carte. On a vu pire.

 

C'est la foire à Moussy. La foule a envahi la rue pentue que je dois emprunter. Une fois de plus, je me sens déplacé. J'allonge le pas tout en jetant un coup d’œil sur la brocante exposée. Rien de bien intéressant ! A la sortie du village, je m'affale sur un talus pour me reposer. Ce n'est vraiment pas la grande forme. Je grignote quelque chose avant de repartir. Serait-ce le jour de repos d'hier qui me met dans cet état ? La pause s'allonge. J'enlève mes souliers pour aérer mes pieds. Grignote un autre morceau de chocolat. Les petits gestes qui réconfortent le pèlerin en baisse de régime. Les gens ne cessent de débarquer de leurs voitures, par familles entières, pour se rendre à la foire. Que de choses sont dites, l'air de rien, dans la manière dont un père ou une mère parle à son enfant.

 

 

MoussyJe me décide enfin à repartir. La route monte sec vers une église au milieu des vignes. Ravitaillement en eau. Je suis à la lettre les indications du futur topo-guide reçu à Reims. Le chemin retrouve enfin un peu de sauvagerie. Il longe une foret, passe une ferme, guidé par une ligne à haute tension dont l'ingénieur en moi apprécie l'esthétique ! Une petite erreur et j'en suis quitte pour franchir une haie épineuse et sa clôture de barbelés. La longue route rectiligne qui suit, une de plus, me mène finalement au bois où j'ai décidé de bivouaquer. Je m'arrête avant d'atteindre la nationale, juste à côté d'un poste de chasseur. Il m’offrira son banc et sa tablette en guise de salon, ouvert à tous les vents. L'idéal pour le repas du soir.

 

Moussy2

 

Je savoure le calme du crépuscule. Après cette journée plus éprouvante que prévue, je profite enfin du moment présent. Alors que l'obscurité commence à tomber, retentit l'aboiement caractéristique d'un chevreuil. La première fois où j'ai entendu cet appel rauque et bref, je bivouaquais dans la lande de Lessay, en plein Cotentin. J'avais cru alors à un chien errant et veillé avec inquiétude, tout autour du campement, un bâton à la main, avant de comprendre de quoi il s'agissait. Le ridicule heureusement ne tue pas ! Cette fois, loin de m'inquiéter, l'aboiement du chevreuil me réjouirait plutôt. Cette nuit sera peuplée !

 

Bivouac

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