28 février 2014 5 28 /02 /février /2014 15:13

 

Réveillé par une jolie musique, tout le dortoir s'ébranle en même temps. Pas de petit-déjeuner au refuge, ni ailleurs à Roncevaux. Il faudra aller plus loin.

 

Départ dans la brume. Une longue file de pèlerins emprunte le chemin restauré par les autorités espagnoles. Une magnifique voie pavée de gros cailloux du meilleur effet pour un citadin, mais que mes pieds de randonneurs échangeraient cent fois pour un peu de terre ou d'herbe humide. Pourvu que tout le chemin ne soit pas comme ça me murmurai-je in petto...

 

j0606-01

 

Traversée de Burguete dans la grisaille ouateuse du matin. Miracle ! Un café qui a changé l'heure espagnole pour l'heure pèlerine est ouvert et fait son beurre de tous les marcheurs affamés qui passent par là. J'y entre à mon tour, un peu inquiet à l'idée de faire mes premiers pas en espagnol. Ma connaissance de la langue de Cervantès se limite à une dizaine de mots, sans doute assez pour commander un petit-déjeuner. Je n'en aurai même pas besoin. Devant la cohue et le vacarme qui règne dans la salle surchauffée, j'hésite, puis me fraie tant bien que mal un chemin jusqu'au comptoir où je désigne du doigt ce que je désire. Ce sera un croissant et un jus d'orange. Je m'enfuis le plus vite possible pour me retrouver au frais sur le parvis de l'église. Je vois passer les trois français d'hier soir qui marchent à grandes enjambées tout en devisant à très haute voix. Nulle envie de les rejoindre. Pas le goût des théories ni des généralités aujourd'hui. Je les laisse donc paisiblement s'éloigner avant de reprendre mon sac et de repartir à mon tour.

 

j0606-02

 

Les maisons sont claires et massives. Les armoiries familiales gravées dans la pierre ornent chaque façade avec fierté. Pas de doute, nous sommes dans un nouveau pays. Qu'on le nomme Navarre, Pays Basque ou Espagne, il a son caractère propre que je me réjouis de découvrir plus avant. Le chemin reprend son cours dans la forêt. La pluie se met à tomber, légèrement puis en rafale. Les pèlerins se transforment en sac multicolores au gré des ponchos plus ou moins exotiques enfilés à la hâte. Au village suivant, nouvel attroupement devant un café qui déborde de toute part. Le pèlerin nouveau n'est pas encore habitué aux précipitations et cherche le réconfort au premier caboulot venu. Je continue ma route tranquillement. La pluie s'estompe bientôt. Le schiste mouillé rend certains passages périlleux. Surtout, ne pas tomber ! Après une courte montée, émotion soudaine ! Un petit tas de pommes de pin et de branches est surmonté d'un panneau en mémoire d'un pèlerin japonais décédé ici il y a 8 ans. Une image pieuse à l'effigie du Bouddha Amithaba est glissée entre deux morceaux de bois. Venir de si loin pour mourir sur le chemin de Saint-Jacques, quel destin...

 

j0606-03

 

j0606-04

 

Le chemin se poursuit entre forêts et villages. Chaque pèlerin croisé se croit obligé de saluer son alter ego d'un "buen camino" sonore. Cela ressemble à un concours : allemands, espagnols, danois, coréens, tous y vont de leur propre interprétation de cette salutation supposée traditionnelle. Mais quand une pèlerine coréenne, ou japonaise, me dit pour la troisième fois de la journée "buen camino" sans réaliser qu'elle m'a déjà salué à deux reprises, je commence à trouver cela franchement comique. Cela va-t-il vraiment durer ainsi jusque Santiago ou bien n'est-ce que l'ivresse et l'enthousiasme des commencements ? Nous verrons bien !

 

j0606-05

 

j0606-06

 

Peu après le village de Zubiri, le chemin traverse une usine de magnésite. Les coulées de boue blanchâtres et noirâtres qui s'accumulent en contrebas donnent à la vallée un aspect lunaire et chimique. Tache industrielle au milieu d'un paysage jusque là forestier.

 

j0606-07

 

j0606-08

 

j0606-09

 

Le rio Arga poursuit sa route et voilà bientôt Larrasoaña. Un pont roman conduit au village de l'autre côté de la rivière. Une petite file s'est formée à l'entrée du refuge municipal installé en partie dans la mairie et en partie dans un bâtiment à l'écart de la rue centrale. Alors que j'attends mon tour, la préposée à l'accueil élève la voix : "Y a-t-il un pèlerin seul pour compléter une chambre ?" Comme personne ne se manifeste, je m'avance et me voilà casé dans la dernière chambre de la mairie. Les suivants iront dans le second refuge. Je rejoins ainsi un groupe d'espagnols, une famille canadienne, un couple japonais et une sud-africaine. Le dortoir est plutôt exigu. On y a casé autant de lits superposés que possible. Nous sommes donc quatorze à dormir ici cette nuit. J'appréhende le moment boule quies, mais nous n'en sommes pas encore là.

 

j0606-10

 

j0606-11

 

Visite du village avec la sud-africaine. Nous voulons réserver une table pour le souper comme à Roncevaux, mais ce n'est pas l'habitude ici. Le tenancier nous dit simplement de tenter notre chance ce soir. Alors que nous buvons un verre avec une espagnole de notre dortoir, je réalise soudain que notre amie sud-africaine préfère la gente féminine. J'observe avec amusement ses manœuvres d'approche. L'espagnole lui plaît manifestement beaucoup mais celle-ci esquive ses tentatives avec adresse et courtoisie. Elle fera choux blanc aujourd'hui. Le chemin deviendrait-il un lieu de rencontre ? Me voilà prévenu ! Il va falloir ouvrir l’œil, et, comme je le constaterai ce soir, l'oreille...

 

j0606-12

 

Rentré à l'auberge, j'apprends les déboires de la famille canadienne. La mère cherche désespérément comment réparer ses chaussures dont les semelles baillent généreusement. Elle finira par trouver quelqu'un qui lui promet un recollage en bonne et due forme pour le lendemain. Ses deux grands enfants prennent l'affaire avec humour et détachement, plongés dans leur smartphone. Il en faudrait plus pour les inquiéter.

 

Je me joins au groupe espagnol pour aller au restaurant, comme prévu. Son patron se révèle grand comédien, faisant l'article pour ses différents plats, à l'hilarité générale. L'ambiance est joyeuse et l'atmosphère surchauffée. Notre sud-africaine n'a pas plus de succès que tout à l'heure mais ne s'en formalise pas outre mesure. J'apprends en cours de conversation que nos route se sépareront dès le lendemain. Ils comptent tous marcher au moins une trentaine de kilomètres, bien plus que ce que j'ai prévu de faire. Je ne reverrai donc sans doute aucun de mes joyeux convives de ce soir. Incertitude du chemin.

 

j0606-13

 

A mon retour au dortoir, au moment de me glisser dans le sac de couchage, je découvre une fleur déposée sous mon oreiller. Une âme romantique se serait-elle exprimée ? Je soupçonne l'espagnole d'être l'auteure de ce message. Un merci pour ma contribution involontaire à sa résistance aux assauts sud-africains ? Cela restera un mystère... et tant mieux !

 

Je tente une nuit sans boule quies. Personne ne ronfle. Pourtant, peu après mon coucher, dans un demi-sommeil, je perçois des bruits de respirations accélérées. Ce n'est tout de même pas ce à quoi je pense ? Tout à fait réveillé, je me rends à l'évidence. Un couple est en train de se faire du bien. Dans un dortoir de douze ! Difficile de ne pas suivre les mouvements du sommier et le crescendo qui ne tarde heureusement pas à atteindre son acmé. Suivi d'un petit moment de silence, d'un gloussement, puis d'un mouvement dans l'ombre. La porte s'ouvre et madame va se rafraîchir dans les douches. A peine la porte s'est-elle refermée qu'un mouvement général de sac de couchage se fait entendre suivi d'un immense éclat de rire ainsi qu'une série de commentaires bien sentis en espagnol... Tout le dortoir était bien sûr éveillé et suspendu aux exploits du couple... japonais, que personne n'osera regarder en face le lendemain matin... Allez savoir pourquoi !

 

j0606-14

Partager cet article
Repost0
24 février 2014 1 24 /02 /février /2014 01:33

 

Ce matin est un nouveau départ. Mon chemin cesse d'être un chemin singulier pour rejoindre la cohorte de tous ceux qui s'élancent aujourd'hui pour leur premier jour de marche. Mon appréhension n'est pas la leur. Pas de craintes matérielles ou physiques. Pas d'interrogations sur ma capacité à rejoindre Santiago et l'océan au bout des terres. Pas de pincement au cœur à l'évocation de ceux que j'ai quitté.

 

Mes questions sont plus simples, plus terre-à-terre.

 

Faudra-t-il courir pour trouver une place au gîte, ce soir, à Roncevaux ? Et les jours suivants ? Trouverais-je le mode d'emploi de l'Espagne et de ces espagnols que l'ont dit moyennement accueillants, afflux de pèlerins oblige ? Arriverais-je enfin à me glisser dans la cohue et la promiscuité ambiante sans perdre le goût du chemin ? Au moins me suis-je procuré l'ingrédient indispensable pour rassurer mes nuits : des boules quies ! Je suis donc paré, en avant ! Soixante-et-unième jour de marche.

 

Je quitte le refuge paroissial où j'ai passé ma seconde nuit à Saint-Jean. La règle de la nuit unique au refuge municipal m'a été appliquée dans toute sa rigueur. Il y avait déjà deux malades à qui l'on avait accordé une exception. J'ai donc dû déménager mes affaires et passer d'un hébergement à l'autre. L'occasion de rencontrer un couple d'hospitalier bien sympathique avec qui nous avons discuté une bonne partie de la soirée et partagé un repas chaleureux.

 

Le démarrage se fait dans la purée de poix. Un panneau aux accents dramatiques conseille de prendre la route en cas de mauvais temps et de brouillard. Je continue par l'option chemin. Mon expérience me dit que ce brouillard matinal ne va pas tenir très longtemps. La montée, sur une petite route goudronnée, est rude et la file des pèlerins s'effiloche rapidement. La camionnette d'un boulanger nous dépasse en laissant derrière elle un parfum de pains frais sortis du four. Je rattrape une pèlerine allemande qui souffle déjà dans la montée. Soudain, c'est le miracle attendu. En l'espace de dix mètres, la route émerge du brouillard et l'horizon s'élargit aux dimensions de la montagne baignée dans une mer de nuages. "Breathtaking" diraient les anglophones. Pas de hauts sommets enneigés ni de reliefs escarpés, mais des montagnes en courbes douces et en alpages passant par toutes les nuances de vert. Je m'arrête pour admirer le jour ensoleillé qui se révèle enfin à mes yeux. L'occasion pour la pèlerine allemande de me rattraper à son tour. La lenteur est une notion toute relative !

 

j0605-01

 

j0605-02

 

j0605-03

 

pano Pyrénées

 

A présent que la route se déploie en plein soleil, la transpiration commence à couler et le crane à chauffer. C'est le moment de sortir son couvre-chef et la crème solaire. Je bois plus que prévu mais pas d'inquiétude. Il y aura du ravitaillement au refuge d'Orisson. Trois autres pèlerins allemands peinent un peu plus loin. L'un d'eux, au volume d'un buveur de bière munichois, a l'air complètement altéré. Il râle et peste dans un allemand que même moi je peux comprendre... Je lui propose ma bouteille de réserve. Il la vide d'une traite, comme si je venais de lui sauver la vie. Comment est-il possible d'être si proche de l'apoplexie alors que la journée ne fait que commencer ? Je l'encourage comme je peux. Ses compagnons ont déjà disparu au coin du prochain tournant. Pas facile d'entrer dans la peau du pèlerin.

 

Le chemin coupe les lacets de la route au prix d'une pente redoublée. Dans un virage, un robinet inattendu. J'en profite largement et repars saturé de liquide pour le reste de la journée.

 

Passé le refuge d'Orisson, la route continue sous le cagnard en larges ondulations à travers les alpages. De curieux murets d'une hauteur d'homme parsèment le paysage. L'énigme qu'ils me posent restera entière. Des moutons et, ça et là, des chevaux, pâturent l'herbe rase. Pas un arbre pour donner de l'ombre. Dans le ciel, le ballet des vautours ne cesse pas. Ils guettent la charogne qui leur servira de festin. Rien ne se perd. En contrebas, deux milans royaux se poursuivent à qui mieux mieux. Parade amoureuse ? Manger, s'aimer, la vie ! Quant aux pèlerins, ils s'échelonnent sur la route à la manière d'une marche parrainée ! Halte à la vierge d'Orisson. Une petite statue qui ne paie pas de mine, posée à même le rocher, et qui souhaite la bonne route aux marcheurs qui défilent à proximité.

 

j0605-04

 

j0605-06

 

j0605-05

 

Le chemin quitte enfin la route et devient sentier pour passer un premier col puis se diriger vers la fontaine de Roland où il redevient aussi large qu'un itinéraire de touriste. La foule se presse autour de la source. Comme tout le monde, je m'y désaltère en pensant à Roland et à son cor résonnant comme un chant désespéré. Il est bientôt midi. Pas question de dîner dans la foule. Je m'isole en m'installant en contrebas du chemin, au milieu d'une magnifique forêt de hêtres. Les arbres, tordus par les intempéries, semblent coller aux pentes de la montagne. Un peu plus bas, une bergerie monte la garde. Mon pique nique avalé, je me repose, confortablement étendu dans l'ombre et la douceur de ce début d'après-midi, avec la pente pour dossier et l'herbe du sous-bois pour coussin. Qui a dit que le bonheur n'existait pas ?

 

j0605-08

 

j0605-09

j0605-07

 

Arrivée rapide au fameux col de Roncevaux. La fin de l'étape est proche. Elle aura passé comme l'éclair et me laisse un goût mi-figue mi-raisin. Je m'attendais à une marche en montagne, sentiers de chèvres et précipices vertigineux... rien de tout cela ! Des chemins larges quand ce ne sont pas des routes, un balisage pour aveugle... Une expression de mon enfance me vient aux lèvres : montagne à vache ! Les histoires de Boule et Bill et la voix de mon frère aîné me reviennent en mémoire. La montagne à glace sera pour une autre fois ! Faut-il vraiment s'en plaindre ? Des vautours planent à basse altitude tout autour du col.

 

Alors que les indications officielles recommandent, une fois de plus, la route et déconseillent le chemin direct pour rejoindre le monastère de Roncevaux, je m'élance sur ce qui ressemble enfin à un chemin montagnard. Que la foule suive les recommandations, me voici à nouveau seul et heureux, dévalant la pente à toute allure ! Au milieu de la descente, je croise un garde qui monte vers le col avec son chien. Pour rassembler les pèlerins comme on rassemble un troupeau ? En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, à travers une foret de toute beauté, je parviens à l'abbaye de Roncevaux. Bien plus tôt que mes prévisions, et largement avant l'ouverture du gîte. Une vingtaine de pèlerins attend déjà dans le hall où il faut s'inscrire avant d'avoir accès au refuge officiel. Je dépose mon sac dans la file et pars à la découverte des lieux.

 

j0605-10

 

j0605-11

 

j0605-12

 

Pourquoi ne pas le dire, je suis déçu. Tout a un goût de neuf et de refait. Chapelle, monastère, auberges, on dirait une reconstitution en faux vieux. Serais-je devenu exigeant ? Je réserve au passage une place pour le repas du soir : menu del peregrino, soyez là à 19h00 précises. Au moins, ce n'est pas encore l'horaire espagnol. A l'entrée du refuge, une hospitalière hollandaise me demande quelles langues je parle avant de m'envoyer dans un coin francophone. Le dortoir est une immense salle moyenâgeuse aux très hautes voûtes gothiques sous lesquelles s'alignent une soixantaine de lits superposés. Je m'installe sur la couchette du dessus puis descend prendre une douche. Deux pour les hommes et deux pour les femmes. Autant dire qu'il faut être efficace. Mais l'ambiance est bonne. Chacun est content d'être arrivé et l'eau chaude. Me voilà tout frais. Après une rapide lessive à l'extérieur, je suis paré pour le repas.

 

C'est la cohue. Une serveuse passablement dépassée par la foule me place à une table où sont déjà installés trois autres français avant d'y jeter un plat de spaghettis rougeâtres. Pas le temps de s'attarder, il faut que ça roule : il y a un deuxième service ! Pourtant, le pire n'est pas la nourriture. Un des français, la soixantaine bien entamée, pérore toute la soirée sur "l'esprit du chemin". Ah, "l'esprit du chemin", vous le sentez bien ? L'alchimie des rencontres, de la route, du silence, tout ça, tout ça, j'en passe et des meilleures. Notre homme est intarissable. Devant ma résistance passive, il finit par me poser La question :

 

- Et toi, tu es parti d'où ?

 

On est tous copains sur le chemin, évidemment...

 

- De Liège, en Belgique.

 

Long silence admiratif.

 

Puis, d'un ton pénétré, comme s'il attendait qu'une révélation tombe de mes lèvres, il ajoute :

 

- Alors, pour toi, qui marche depuis si longtemps, l'esprit du chemin, c'est quoi ?

 

J'en reste tout ébahi... Et j'ai du mal à retenir mon éclat de rire. L'esprit du chemin ? Tu parles Charles ! "C'est qu'il n'y en a pas !", ai-je envie de lui rétorquer. Vais-je casser son rêve ? Que dire ? Je balbutie un "Bof !" dont il perçoit tout le scepticisme. Puis, je dois ajouter quelque chose comme "Ben, c'est marcher au jour le jour." qui achève de me faire passer pour un crétin. Heureusement, notre homme a de la ressource et il repart pour un tour. Il n'a vraiment pas besoin de moi pour savoir ce qu'est l'esprit du chemin... Quand je trouve enfin le moyen de lui demander depuis quand lui, il marche, il répond sans sourciller : "Oh, moi, ça fait deux jours et je m'arrêterai à Pampelune. Je suis venu essayer les Pyrénées et voir si l'esprit était bien comme on le disait. Je reviendrai plus tard. Je suis convaincu ! " Inutile d'en rajouter. L'adage "moins on en sait, plus on en parle" se vérifie une fois de plus.

 

De retour au refuge, je prends place dans mon sac et sort mes boules quies toutes neuves, me les enfonce dans les oreilles et ferme les yeux comme un bienheureux. A moi la nuit paisible...

 

Ploc !

 

Une goutte de condensation me tombe droit sur le nez. Pas de chance. Je rabats le capuchon de mon sac pour me protéger de cette pluie intérieure et repars dans les bras de Morphée. Mais c'est maintenant le bouchon de l'oreille droite qui sort de son logement et tombe sur le matelas. Damned ! Je le replace, me retourne et... c'est l'autre qui est éjecté aussi sec. Diantre, pas si simple à maîtriser la technique des boules quies. J'ai beau les malaxer, les enfoncer, les cajoler, pas moyen de les faire tenir. Elles finissent toujours par se retrouver au grand air... Après une bonne demie-heure de lutte acharnée, je finis par me rendre. Je m'endormirai, les oreilles libérées de leurs petits bouchons, et bercé par une ou deux dizaines de ronflements assourdis qui se perdent heureusement dans l'immensité du dortoir...

 

j0605-13

Partager cet article
Repost0
3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 13:28

 

Je quitte sans regret le lit digne de ma grand-mère qui a absorbé pendant la nuit mes inquiétudes d'hier soir. Aujourd'hui, j'arrive à Saint-Jacques... pardon, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Cela me semble tellement incroyable d'en être au terme de ma traversée de la France. Ce long tunnel dans l'inconnu qui débutait à Vézelay s'achève aujourd'hui. J'ai le sentiment très fort d'arriver à destination. L'Espagne ? Une dernière ligne droite ! Que pourrait-il encore m'arriver ? Il n'y a plus aucun doute dans mon esprit, Compostelle est à portée de main. Cette certitude me met dans une douce allégresse, l'allégresse de toutes les arrivées !

 

Le démarrage se fait dans la fraîcheur, même si la journée s'annonce chaude. Pour la première fois, la foule envahit le chemin. De toutes les auberges sortent des pèlerins qui s'ajoutent aux pèlerins pour former une longue file caquetante et oscillante au gré des différents rythmes de marche. Arrêt à une boulangerie pour le petit déjeuner. File de sacs à dos ! Pour un peu, je deviendrais agoraphobe. En une heure, j'ai vu plus de pèlerins que pendant les deux mois qui précèdent. Adieu solitude heureuse ! Je commence à comprendre certaines réflexions entendues la veille au soir à la table du souper. C'est le moment de me rappeler la devise que j'ai toujours essayé de respecter : « Accueille ce que le chemin donne, comme il le donne. » Et tout indique qu'il va changer radicalement de style.

 

Pour l'instant, il longe la grand route, parfois de loin, et parfois de très, très près. Les alpages de la vallée ont été fanés récemment et l'herbe qui sèche forme des veines qui irriguent le paysage. Un busard veille sur son poteau électrique. La lumière du matin enrobe tout de sa douceur. A la croix de Galzetaburu, Dieu seul sait comment ça se prononce, le chemin quitte la route pour passer par le village de Gamarthe.

 

j0603-01

 

j0603-02

 

j0603-03

 

C'est alors que, pour la première fois, je les aperçois. Non pas un, ou deux, mais des dizaines qui planent haut dans le ciel. Les vautours fauves ! Je suis fasciné par leur silhouette majestueuse et leur nombre. C'est comme s'ils se réunissaient pour tenir conseil en altitude. A côté d'eux, le milan noir qui plane en contre-bas ressemble à un moineau ! De moineaux, pas de trace, mais c'est un couple de Tarier pâtre qui m'accueille au village et m'indique la direction du robinet, bien caché dans le cimetière qui entoure l'église.

 

j0603-04

 

j0603-05

 

j0603-07

 

La suite du chemin s'éloigne heureusement de la route et prend un air plus bucolique. Pourtant, est-ce la chaleur qui monte, le nombre de pèlerins qui empêche toute solitude, ces quelques kilomètres jusqu'à Saint-Jean-le-Vieux me semblent interminables. Un pèlerin en vélo roule à peine plus vite que les piétons que nous sommes, nous dépasse, revient en arrière, se laisse rattraper puis nous dépasse à nouveau. Son manège m'intrique. Serait-il charger de surveiller le flot des pèlerins qui s'avancent ? Quand je lui pose la question, il éclate de rire et m'explique qu'il s'est fait mal au pied et accompagne ainsi en va et vient son groupe de marcheurs. Pourquoi pas !

 

Au village, c'est l'heure de la pause-midi. Tous les pèlerins s'attablent ici où là pour déjeuner. L'occasion rêvée de me séparer du lot ! Je prends un peu de repos dans l'église au style typiquement basque avec ses balcons en bois accrochés aux murs de la nef centrale. Je respire, prie un psaume, et repars. Cette fois, le chemin est sans pitié, longeant la route nationale sous le cagnard. Un paysan répare sa machine agricole dans le champs voisin. Il y a plus à plaindre que moi ! La bifurcation qui mène à Saint-Jean-pied-de-Port arrive enfin et je quitte la grande-route. Une petite chapelle m'accueille dans la fraîcheur de son ombre. J'y reste longtemps en compagnie d'une autre pèlerine qui prie sur le côté. Partager cet espace dans le silence d'un même recueillement crée entre nous une complicité qui se lit dans le regard qu'elle me jette au moment de quitter l'église. Je savoure encore quelques minutes ce repos bien mérité. Puis vient la dernière ligne droite qui mène à la porte Saint-Jacques.

 

j0603-06

 

j0603-08

 

j0603-09

 

Alors qu'elle apparaît après une dernière côte, un individu étrange, couvert d'une cape blanche sur laquelle ont été brodés des signes cabalistiques, me précède de peu pour la franchir. Encore un illuminé adepte de l'ésotérisme ! Pas étonnant dans ce genre de lieu ! Nos routes se croiseront pourtant régulièrement au fil de l'Espagne et à mon retour, je lirai sur la page facebook d'une autre pèlerine cette réflexion en forme de pied de nez aux préjugés : « Tout le monde connaît la cape, mais combien peuvent dire qu'ils ont rencontré l'homme ? »

 

j0603-10

 

Passage obligé au bureau des pèlerins. L'accueil est rapide et efficace. C'est la foule des grands jours. Puis direction le refuge où je m'installe rapidement avant de partir visiter la ville. Demain, jour de repos et de préparation au passage en Espagne. La vie est belle !

 

j0603-11

Partager cet article
Repost0
31 août 2013 6 31 /08 /août /2013 13:19

Sans l'avoir décidé, tant cela nous paraît naturel, nous marchons de concert pour ce dernier jour ensemble, Michel, Marie-Claire et moi. Le rythme de nos pas s'accorde assez spontanément et je prends plaisir à la conversation chemin faisant. Au coin d'un pré, nous apercevons le pèlerin à l'âne qui s'étire dans la fraîcheur du matin. Il a décidé de faire halte et de prendre un jour de repos. Ce bout de pré lui plaît bien : herbe et eau à foison pour son animal. Nous nous saluons avec le sourire, même si nous savons que nous ne nous reverrons plus. Chacun sa route !

 

j0602-01

 

A l'orée d'une forêt, nous entrons en Navarre. C'est le Pays Basque et sa langue étrange. Un petit monument fait office de poste frontière. Courte pause. Le chemin continue dans la campagne de plus en plus vallonnée. Bientôt le clocher de Sussaute apparaît au loin. Le petit détour pour lui rendre visite en vaut la peine. Les croix circulaires typiquement basques nous souhaitent la bienvenue plus sûrement que les indications touristiques. Et les caractères mystérieux gravés sur leur circonférence éveillent notre curiosité.

 

j0602-02

 

j0602-03

 

j0602-04

 

A l'approche de Saint-Palais, le chemin rejoint une ancienne voie de chemin de fer. Je réalise soudain, alors que Michel et Marie-Claire marchent devant moi, que nous allons bientôt nous séparer. Je les prends en photo de dos au passage d'un pont puis prends la même photo quand ils ont disparu de l'autre côté. Une manière de symbole. Vingt jours de compagnonnage vont bientôt s'achever. Nous rattrapons une famille nombreuse qui se promène sur la voie avant de faire notre entrée à Saint-Palais. Pas besoin de nous consulter. Nous cherchons un restaurant pour partager un dernier repas ensemble. Assis à la terrasse nous échangeons nos derniers mots, les souhaits de bonne route, convenus et pourtant sincères. Ils vont dormir au refuge ici même avant de tracer leur itinéraire et rejoindre la voie de la côte, le Camino del Norte. Quant à moi, je vais chercher une boulangerie ouverte pour refaire mes provisions et continuer vers Ostabat.

 

j0602-05

 

j0602-06

 

Me voici seul, à nouveau, et pour la première fois depuis trois semaines. Même si nous marchions séparément, tout le chemin était habité de leur présence diffuse. Devant ou derrière, ils n'étaient jamais loin. Difficile de décrire cette sensation d'être accompagné en permanence. De se savoir attendu le soir. De n'être jamais tout à fait seul alors même que l'on ne se voyait que deux ou trois fois par jour. Ce simple fait suffisait à transformer le chemin, à en faire une route habitée et vivante. A présent, je ne pourrai plus compter que sur moi-même. Ils me manquent déjà par anticipation !

 

Le ravitaillement effectué, je reprend la route et passe devant le refuge. Je les vois une dernière fois mais sans leur faire signe. Ce dernier regard sera pour moi seul et nourrira ma nostalgie pour quelques kilomètres. Ceux-ci se révèlent éprouvants. Il fait chaud, le soleil tape. La chemin monte fortement et suit une route au macadam et au trafic implacable. Je sue à grosses gouttes. Passé le point culminant, la route redescend légèrement et j'en profite pour demander de l'eau à une dame qui nettoie sa piscine. Elle remplit volontiers ma bouteille en riant. Elle a l'habitude des pèlerins. Et pour cause ! Quelques mètres plus loin la stèle de Gibraltar apparaît, point supposé de la jonction des trois voies historiques du Puy, de Vézelay et de Tours. Je suis un peu déçu par ce monument qui me semble mesquin et en mauvais état. Me voici donc sur la dernière ligne droite vers Saint-Jean-Pied-de-Port.

 

j0602-07

 

Devant moi, une côte fantastique se dessine. Un chemin de schiste noir monte en plein soleil vers la chapelle de Soyarce. Arriverai-je à grimper cette colline sans fondre sur place ? Qui va piano va sano dit le proverbe. Et sans m'en rendre compte, je suis bientôt en vue de la fameuse chapelle. Un lieu enchanté, à la vue imprenable sur tout le pays alentour, avec les Pyrénées pour décor, encore au loin mais déjà proches. Le nombre de pèlerins a crû dans des proportions étonnantes. Je me souviens que le chemin du Puy est bien plus fréquenté que celui de Vézelay. La foule montrerait-elle le bout de son nez ? Après une bonne pause, je commence la descente. Première rencontre pèlerine avec une marcheuse hollandaise. Nous faisons connaissance au détour d'un lacet. Mais elle me dit qu'elle termine sa route demain, à Saint-Jean. Ce ne sera donc pas une rencontre durable.

 

j0602-08

 

j0602-09

 

j0602-10

 

j0602-11

 

Arrivée à Ostabat par un chemin encaissé et humide. Une stèle tourmentée accueille le pèlerin. Au refuge, où j'ai téléphoné ce matin, il n'y a plus de place. Mais la maison d'à-côté m'a gardé une chambre pour deux fois le prix. Je me sens, comment dire, un peu arnaqué, mais il est trop tard pour rechigner. Au moins, j'aurai une chambre pour moi seul.

 

j0602-12

 

Le soir, je me promène dans les environs et prends quelques photos crépusculaires. La lumière est magnifique, comme après la pluie. Le soleil couchant y met du sien. Au refuge, je fais brièvement la connaissance d'un groupe de français qui marchent ensemble depuis le Puy et qui, me disent-ils, iront jusqu'à Santiago. Trop tôt pour approfondir. Je garde une prudente distance. Ne pas se lier trop vite, Marie-Claire et Michel sont encore trop proches dans ma mémoire. Je ne le sais pas encore, mais ces français deviendront des amis et nous marcherons de concert jusqu'à Ponferrada ! Mais le chemin garde encore pour lui ce secret, comme bien d'autres qu'il tient en réserve.

 

j0602-14

 

j0602-15

 

Cette nuit, mon sommeil sera bercé d'inquiétudes. Demain Saint-Jean, une journée de repos, mais surtout, la perspective de l'entrée en Espagne, pays dont je ne connais ni la langue, ni les usages, ni le mode d'emploi. Et la foule des pèlerins qui m'attend... Serait-ce déjà la fin de mon pèlerinage ? J'ai l'impression d'arriver et de toucher au but. Il me reste pourtant 850 km à parcourir. Mais Saint-Jacques me paraît soudain tout proche, si proche ! Pour la première fois, j'ai le sentiment que le chemin se terminera ! Et je ne sais si cela me donne de la joie ou de la tristesse... Je m'endors avec une dernière pensée pour les amis quittés ce midi. Le chemin m'en donnera-t-il d'autres ?

Partager cet article
Repost0
13 mars 2013 3 13 /03 /mars /2013 17:59

Ce matin, jour de marché à Orthez. Les commerçants installent leurs échoppes et leurs étals à l'ombre de l'église Saint-Pierre. Je m'échappe du centre-ville et explore les berges du gave de Pau, à la recherche d'un point de vue sur le Pont Vieux. Quelques photos plus tard, je remonte vers la ville et traverse la rivière sur le Pont Neuf où les voitures s'embouteillent à qui mieux mieux. Alors que la route remonte sur les flancs de la vallée, une indication me fait sourire : « Cimetière de Départ »... Voilà qui mène sans doute au « Paradis d'Arrivée ! »

 

  j0601-01

 

j0601-02

 

j0601-03

 

j0601-04

 

Au village de Ste-Suzanne, un cimetière protestant attire mon attention avec ses stèles funéraires marquées de versets bibliques. Puis, c'est la traversée de la rivière le long de laquelle subsiste les restes d'un ancien moulin et enfin l'église, de style quelconque, mais dont la porte ouverte permet à un couple d'hirondelles de nicher dans le porche d'entrée.

 

j0601-05

 

j0601-06

 

j0601-07

 

Le chemin se poursuit à travers la campagne béarnaise. Maisons massives aux toitures à double pente, jardins potagers soigneusement entretenus, réserves à maïs. Le pays est rude et beau à la fois, la couleur brune des tuiles et des murs dominant le paysage humain, le vert des prairies le paysage naturel... Un pic s'acharne sur un poteau électrique pour y trouver son petit-déjeuner, un magnifique buisson de roses couronne le faîte d'un toit, un chien, foulard rouge autour du cou, me regarde gentiment passer : le chemin est fait de cette multitude de détails que l’œil saisit au passage, sur lesquels il s'attarde ou pas, et qui viennent nourrir ou dévier le cours intérieur de l'esprit.

 

j0601-08

 

j0601-09

 

Voilà bientôt le hameau de l'hôpital d'Orion. Autant la chapelle romane est jolie de l'extérieur, autant l'intérieur surprend, trop beau, trop lisse, trop rénové... La voute, en particulier, dont on se demande si elle est en bois ou en béton, est tellement claire et nette qu'elle en paraît artificielle et déplacée. Dommage !

 

A l'extérieur, une peintre s'est installée, qui brosse à l'aquarelle la chapelle romane. Un vélo s'arrête à sa hauteur. Surprise ! C'est mon cycliste pèlerin de Limoge et de La Coquille. Il a pris son temps et fait le crochet par Lourdes, ce qui explique ces retrouvailles improbables ! Un de ces hasards dont le chemin se montre friand, surtout en terre espagnole. A mon tour, je parle un peu avec la peintre. Elle suit des cours en dilettante mais son professeur l'encourage à s'exercer car elle a un véritable talent. Et en effet, l'aquarelle esquissée me semble très réussie...

 

j0601-10

 

j0601-11

 

j0601-12

 

Rude montée à la sortie du village. A mi-hauteur, un blaireau gît sur le bas-coté de la route, en pleine décomposition. Victime d'une voiture sans doute !

 

Le chemin devient de plus en plus bucolique, traverse des prairies au vert clair qui contraste avec le vert sombre de la forêt dans lequel il entre bientôt. Au fond d'une petite vallée, un pont antique fait de schiste gris couvert de mousse marque le début d'une jolie côte, boueuse à souhait. Aurait-il plu récemment ?

 

j0601-13

 

j0601-14

 

j0601-15

 

De retour sur la route, j'avise au loin un âne couvert de sacs et d'objets multicolores ainsi que son compagnon pèlerin. En quelques minutes, je les rattrape. C'est l'âne qui décide du rythme et des étapes, plus courtes que pour un randonneur. Son propriétaire m'explique qu'il ira jusqu'à la frontière espagnole, mais pas plus loin car c'est trop compliqué de marcher avec un animal en Espagne. Il remontera la France par la côte pour rentrer chez lui. Je marche quelques mètres à ses côtés puis m'éloigne. Le piéton est plus rapide que l'âne !

 

j0601-16

 

La route plonge vers le gave d'Oloron. Le temps s'est mis au beau, le soleil brille de tous ses feux et le mercure monte pour la première fois depuis longtemps. J'aperçois enfin à l'horizon, dans un reste de brume, les Pyrénées tant attendues. Le chemin flâne dans la vallée, s'attarde dans un village sur les rives du gave avant de rejoindre la route qui mène à Sauveterre de Béarn. Il la quitte aussitôt pour rester dans le fond de la vallée, offrant de magnifiques perspectives sur l'église qui domine le site. L'accès se fait par un escalier raide d'où la vue sur le gave et le pont des légendes vaut le détour. Enfin l'église ! Autant l'extérieur était prometteur, autant le tympan ciselé dans du calcaire ocre est splendide, autant l'intérieur me semble morne et froid, en travaux de surcroit. A peine entré, déjà sorti, pas de chance ! Je passe à la pharmacie pour me ravitailler en crème solaire et file déjà par la grande-route pour rejoindre l'hébergement de ce soir. Une chambre d'hôte dans une vaste ferme au-delà du gave, que je rejoins en pestant contre le trafic de cette fin d'après-midi.

 

j0601-17

 

j0601-18

 

j0601-19

 

j0601-20

 

j0601-21

 

Notre hôte du soir, je dis notre car Michel et Marie-Claire sont bien sûr de la partie, est charmante, comme son mari et ses deux enfants. Nous soupons agréablement dans de grands éclats de rire où domine notre Marie-Claire nationale ! Pourtant, dans les rires pointent aussi un peu de nostalgie, déjà. Nous savons que le moment de nous séparer approche. C'est notre dernier soir ensemble. Demain, à Saint-Palais, ils prendront la direction de la voie du Nord tandis que moi, je continuerai vers Ostabat et le Camino Frances. Depuis La Coquille, nous marchons de concert. Tant de moments partagés, de discussions, de rires et de sourires... en toute liberté. Demain, je serai à nouveau seul. Non que j'appréhende. Mais quand un lien s'est créé, le rompre ne laisse jamais indifférent. Nous reverrons-nous après le chemin, comme promis ? Qui vivra verra !

Partager cet article
Repost0
8 mars 2013 5 08 /03 /mars /2013 16:00

 

Le temps reste de la même couleur : gris, pluvieux, venteux. La sortie d'Hagetmau se fait par une petite route de campagne qui prend des allures sinistres en ce matin. La bise souffle de face et rend la progression désagréable. J'ai la nette impression de ne pas avancer. A la pause, je me réfugie sous un bosquet de conifères qui protègent une antique source Saint-Pierre. On y amenait autrefois les enfants qui tardaient à marcher : clin d’œil au randonneur pèlerin de passage ! Je m'y blotti comme dans une grotte, enfin à l'abri du vent qui me tape sur les nerfs, mais pas du froid qui reste vif. Au loin, une station météo France, digne d'un vaisseau spatial, semble me narguer, tout comme les vaches placides qui me regardent passer sans broncher.

 

j0531-01

 

j0531-02

 

j0531-03

 

Dans le creux d'une vallée, nouvelle pause à l'endroit d'une ancienne bastide dont il ne reste que quelques tombes abandonnées au milieu des bois. Bastide du Pont la Reine. Le rapprochement est immédiat avec la ville de Puente la Reina en Espagne. Y a-t-il là plus qu'une similitude de nom ? Le petit panneau explicatif planté au milieu des herbes folles ne s'interroge guère. Malgré l'humidité, ou à cause d'elle peut-être, l'endroit se révèle plein de charme et je regarde les quelques pierres tombales qui émergent encore des fourrés avec une pointe de nostalgie. Un lieu d’histoire est en train de disparaître. Ce qui fut un carrefour animé et plein de vie n'est plus rien qu'une terre abandonnée aujourd’hui ! Ici comme ailleurs, le temps fait on œuvre...

 

j0531-04

 

j0531-05

 

Au village de Beyries, petit détour pour passer par la chapelle. Devant l'entrée, un beau chien semble monter la garde. Mais c'est la ferme voisine dont il protège l'entrée. En surgit bientôt la maîtresse des lieux avec laquelle j'entame la conversation. Une conversation chaleureuse qui prend son temps et me réconforte au milieu de la grisaille générale. La chapelle est ouverte. Elle a été rénovée avec goût et simplicité. Il y fait bon se reposer et chanter les psaumes...

 

j0531-06

 

j0531-07

 

Au départ, je vois mes âmes-sœurs Michel et Marie-Claire passer au carrefour où j'ai laissé le chemin de Saint-Jacques. Ils ne me voient pas, la rencontre sera pour la prochaine fois !

 

L’architecture du pays change à nouveau. On entre en Béarn. Les maisons se font plus massives avec des toits couverts de tuiles rouge sombre, de grandes cheminées et des balcons aux balustrades en bois ou en fer forgé. Les horizons s’ouvrent en même temps que le relief s'accentue. Les Pyrénées approchent. Du point où le guide annonce la première vue sur la chaîne de montagnes, on ne voit pourtant que des nuages. Le panorama grandiose rêvé si souvent sera pour une prochaine fois.

 

j0531-08

 

j0531-09

 

j0531-10

 

Orthez s'annonce avec le château Moncade et sa tour qui émerge des arbres. La route plonge vers la vallée et la ville. Au passage, j'entends deux vieux ironiser sur les pèlerins : « On en voit de toutes sortes ici. Tiens, j'en même vu un avec son âne tout à l'heure... » Le verrai-je ce soir, ou demain ?

 

j0531-11

 

j0531-12

 

Le refuge se trouve au deuxième étage d'une demeure historique magnifique où l'on accède par une petit escalier en colimaçon. L'hôtel de la lune. Au mur, un panneau reprend quelques dessins de pèlerins laissés dans le livre d'or. La soirée se terminera par une tisane au tilleul, cueilli en chemin.

 

j0531-13

 

j0531-14

Partager cet article
Repost0
14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 13:49

 

La journée s'annonce grise et pluvieuse. Elle le sera. A la sortie de Saint-Sever, interminable route de campagne en ligne droite jusqu'à une rivière au bord de laquelle je prend ma première pause.

 

j0530-01

 

j0530-02

 

Au village d'Audignon, c'est la fête. Tout le monde est rassemblé dans la salle municipale. On devine l'apéritif, l'accordéon et les discours des autorités. Pour ma part, je me réfugie à l'église car il commence à pleuvoir. Dans une demie obscurité, je découvre le joyau du lieu : un retable anglais du XIVème siècle, vestige de la guerre de cent ans. Bien qu'elles soient relativement abîmées, les peintures sont encore émouvantes et expressives. Je ne me lasse pas de les contempler encore et encore, comme un trésor que je serais le premier à découvrir, seul dans l'église. Ailleurs dans la nef romane, des chapiteaux, des marques de tailleurs de pierre, le tout dans une atmosphère de sérénité qui contraste avec le bruit qui vient de la fête. J'aime ce sentiment d'être décalé. A l'extérieur, sur les murs de l'église, des gravures dont on se demande de quand elles datent. La pluie reprend, il faudra bien repartir.

 

j0530-03

 

Je m'adresse à une dame qui se rend à la fête pour savoir si la voie de chemin de fer est praticable.Ce serait un heureux raccourci, m'évitant quelques kilomètres de macadam. Elle n'en est pas très sure, mais penche pour l'affirmative. Je prends donc le risque.

 

j0530-04

 

Pour un moment je me retrouve dans le film « Stand by me », chantonnant les chansons dont je me souviens : « Lollipop, lollipop, ouh lollilollilollipop... » Bientôt, les herbes hautes envahissent les voies : me voilà trempés presque jusqu’à la ceinture... Mauvaise pioche que cette voie ? Pourtant, je profite de cet itinéraire bis avec joie. A mi-chemin, la pluie redouble de plus belle. Je m'abrite sous de grands arbres et attends patiemment que le déluge se calme. C'est l'heure du pic-nique. Sous la voute des arbres, je me sens protégé, à l'abri. Malgré l'humidité qui me refroidit petit à petit. Je fais quelques mouvements de gymnastique pour me réchauffer. Encore un moment banal qui s'inscrit pourtant dans ma mémoire...

 

j0530-05

 

Retour sur la route. Au village de Horsarrieu, un café bar me tend les bras. J'y retrouve... Michel et Marie-Claire, quelle surprise ! Les murs de la salle principale sont couverts de photos de tauromachie. Le fils de la maison est un adepte et sa mère, la patronne, est intarissable. C'est un plaisir que de l'entendre parler des exploits de son fils dès qu'elle a compris qu'elle ne devra pas défendre la corrida contre les préjugés habituels des citadins délicats. D'ailleurs, dans la région, il n'y a pas de mise à mort.

 

C'est tout ragaillardi que je reprends la route vers Hagetmau. Arrivée en ville. Le guide mentionne un responsable de gîte au stade municipal. Celui-ci me semble aux cent mille diables. Je passe l'entrée de la piscine, sonne à une maison où on me dit que le responsable a changé et qu'il faut aller à la piscine. Je fais demi tour. Inscription au hall d'entrée de la piscine et, quelle bonne nouvelle, le gîte se trouve de l'autre côté de la ville. Retour, encore plus long que l'aller, jusqu'au refuge, flambant neuf, où nous attend déjà un couple. L'homme s'est foulé la cheville en coupant un rond-point et en ratant une bordure alors qu'il esquissait un petit pas de danse tout à la joie d'être arrivé. Son chemin s'arrête là. C'est vraiment trop bête ! Et bonne leçon au passage. Le chemin est encore long et peu importe le nombre de jours parcourus, peu importe la confiance venue avec le temps, chaque instant peut cacher l'incident qui mettra fin au pèlerinage.

 

j0530-06

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 00:00

 

L'étape d'aujourd'hui sera courte. Inutile de démarrer trop tôt. D'autant que nous sommes samedi et qu'un marché a lieu non loin du refuge. Nos amis germano-hollandais sont partis à l'aube. Ils veulent faire double étape. Grand bien leur fasse ! Quoiqu'en paroles ils se défendaient hier de vouloir avancer à marche forcée, c'est plus la performance kilométrique qui semble les intéresser. Selon l'adage si souvent rabâché : à chacun son chemin ! Restent donc les trois belges à se rendre, mais chacun de son côté, au marché pour faire les emplettes du weekend. Le marché, comme tous les marchés, est coloré, animé et plein de parfums : fromages, salaisons, olives... J'y flâne à mon aise, ayant vite fait d'acheter les deux tomates, la banane et les oranges qui agrémenteront le pic-nique traditionnel à base de camembert, de saucisson et de baguette.

 

j0529-01

 

Départ des bains publics vers 9h00. Un magnifique arbre vieux de 150 ans me souhaite bonne route : l'arbre de la liberté. Petit parfum républicain pour démarrer ce matin. La vieille ville de Mont-de-Marsan vaut le détour. Anciennes fortifications, maisons moyenâgeuses, le tout est agrémenté d'une exposition de statues dans les parcs et jardins alentours. Je me balade, chargé de mon sac à dos, et prend tout le temps de goûter les lieux. Arrêt dans une église moderne aux statues impressionnantes. Un quidam me regarde d'un drôle d'air. Aurais-je l'air d'un routard ? Et pourquoi pas !

 

j0529-02

 

j0529-03

 

j0529-04

 

j0529-05

 

La sortie de la ville n'est en rien bucolique. Grand-route, supermarché, panneaux publicitaires, trafic... Pause sur un espace herbu près d'une station essence et d'un parking. Je prends plaisir à regarder filer les voitures sur la route et regarde les gens qui vont et viennent pour leurs courses du samedi. Remettons-nous en route !

 

Le chemin traverse une campagne encore marquée par les tempêtes d'il y a quelques années. Des forêts entières ont été rasées. C'est un vrai spectacle d'apocalypse. Au village de Benquet, l'église ouverte accueille ma pause. L'intérieur est froid et tout empreint de l'humidité qui suinte du sol. Elle est pourtant bien jolie vue de l'extérieur.

 

j0529-06

 

j0529-07

 

j0529-08

 

  j0529-09

 

La journée se poursuit dans la même atmosphère de forêts tranchées à vif. A midi, je me fraie un chemin dans les chablis pour m'installer un peu à l'écart. La route continue dans une certaine monotonie. A Sainte-Eulalie, pause dans l'église, une fois encore. Il y a décidément des tropismes dont on ne se sépare pas facilement. Quelques femmes sont en train de décorer les lieux pour une célébration avec des enfants. Le sentier rejoint une ancienne voie de chemin de fer qui domine la rivière. Je ne résiste pas au plaisir de plonger jusqu'aux berges et passe en-dessous de deux ponts jumeaux avant de rejoindre la route qui entre dans Saint-Sever.

 

j0529-10

 

j0529-11

 

j0529-12

 

j0529-13

 

Une sorte de rallye urbain anime la ville. Au syndicat d'initiative, on nous indique que les quatre premiers pèlerins ont l'hébergement gratuit. Ça tombe bien, je suis le troisième. Inutile de vous demander qui sont les deux premiers. Je retrouve Michel et Marie-Claire dans l'ancien couvent des jacobins. Une grande salle moyenâgeuse puis un escalier étroit mènent à un couloir tout aussi étroit bordé de portes cachant de petites chambres. Je m'installe dans la première que je trouve ouverte. Mon couple belge est installé dans la chambre du fond où se trouvent quatre lits. Ils ont l'air de trouver bizarre que je m'installe dans une chambre seule. Je comprendrai le lendemain que les pèlerins sont sensés utiliser cette chambre particulière, tandis que les autres sont réservées à des hébergements d'urgence. J'entendrai d'ailleurs au milieu de la nuit quelqu'un entrer dans la chambre en face de la mienne. Je ne pourrai m'empêcher de fermer ma porte à double tour. Le bâtiment n'inspire guère la tranquillité pour qui a de l'imagination. Dans la cour, des chiffres en caractères gothiques rappellent le passage de nos amis teutons dans les années quarante... Incroyable qu'on ait jamais repeint ces marques d'un passé douloureux ! Était-ce la komandantur ?

 

j0529-14

 

j0529-15

 

j0529-16

 

Visite à la cathédrale. Les chapiteaux romans sont magnifiques. Presque trop avec leur reste de polychromie dont j'ai du mal à croire qu'elle soit d'origine. Pour ce soir, nous décidons de nous payer un petit resto. Au menu, pâtes à la carbonara, accompagnées d'une salade et pièces de viande gigantesques (du moins pour des yeux et des estomacs de pèlerins) pour Michel et Marie-Claire.

 

j0529-18

 

Retour au couvent sous une petite pluie fine. L'atmosphère du bâtiment n'inspire toujours pas la sérénité. A l'entrée, de multiples panneaux d'interdiction nous souhaitent la bienvenue. Quelle chance, le dimanche il n'y a pas d'hébergement pèlerin. A un jour près ! Profitons de cette nuit qui sera longue et insomniaque.

 

j0529-17

Partager cet article
Repost0
26 décembre 2012 3 26 /12 /décembre /2012 17:10

Comme d'habitude, je suis le dernier à partir ce matin. D'autant que je commence avec un petit détour par l'église qui domine la vallée. Peine perdue. A cette heure elle est évidemment fermée. Adieu Roquefort, direction Mont-de-Marsan.

 

j0528-01

 

Au petit village de Corbleu, pause à l'église. Depuis le temps que je marche, il y a comme des rituels qui se sont mis en place. Et l'arrêt à l'église du village en est un, tout comme la quête du robinet au cimetière. Pour d'autres, ce sera la halte au café-bar-pmu. Lieu qui a tendance à se faire rare dans les campagnes françaises...

 

Entourée de son cimetière, la petite église de Corbleu a un charme fou avec son abside romane, son petit clocher en bois et son porche d'entrée qui baigne dans la pénombre.Un gros matou blanc m'observe, à demi dissimulé derrière les branches d'un arbre qui pousse le long du mur d'enceinte. Je fais le tour des lieux, m'attarde. Étrange sentiment de familiarité et de distance, une fois de plus. Ce lieu me parle. Je voudrais y rester pour en goûter davantage l'atmosphère, entrer un peu dans son histoire. Mais je sais que le temps m'est compté et qu'il va falloir bientôt se remettre en route. Impossible de saisir le sentiment, ni l'impression, ni l'heure présente, sinon par la mémoire et l'artifice de quelques photos. Frustration du pèlerin. On ne peut à la fois passer et demeurer. Reste la mémoire.

 

j0528-02

 

j0528-03

 

j0528-04

 

Changement de pays, changement de coutume. Des mâts décorés comme des arbres de Noël jalonnent l'étape d'aujourd'hui. Lorsqu'un événement approche, anniversaire, mariage, nomination, que sais-je, les amis viennent installer ce mât décoré au domicile de l'heureux élu, lui signifiant qu'il est temps d'organiser une fête pour y convier les amis en question. Une manière de s'inviter et d'inciter à la fête. A charge de revanche, j'imagine !

 

Autre coutume locale. L'accrochage de radios dans les arbres fruitiers pour éloigner les oiseaux. Dieu seul sait si c'est efficace mais c'est en tout cas surprenant !

 

j0528-05

 

j0528-06

 

j0528-07

 

Pause à Bostens. L'église Notre-Dame m'offre son silence et sa beauté un peu austère. Le clocher, massive tour rectangulaire, tient plus du donjon de château-fort. Des hirondelles se faufilent dans le porche d'entrée pour nourrir leurs petits. C'est décidément la saison. La nef est sombre, mais on distingue, au plafond, un reste de fresque : un Christ en gloire ? Comme d'habitude, je m'attarde séduit par le calme du lieu. Mais comme d'habitude, aussi, le chemin appelle et je ne peux, ou ne veux, demeurer ici plus que nécessaire.

 

j0528-08

 

j0528-09

 

j0528-10

 

j0528-11

 

L'itinéraire traverse une départementale au trafic intense puis retrouve l'autoroute en construction. Peu après, je m'arrête pour casser la croute dans un bosquet à l'écart de la route. Pendant ma sieste, j'entends Michel et Marie-Claire qui passent sans me voir. Et pour cause ! Je suis couché au milieu d'un taillis de branchages, un vrai poste de camouflage. Cette discrétion me vaut d'ailleurs une belle surprise quand, soudain, mon regard accroche près de la cime des arbres, un oiseau coloré au long bec pointu. Pas de doute, c'est la fameuse huppe fasciée, souvent entendue, rarement aperçue. Je n'en reviens pas de ma chance.

 

j0528-12

 

j0528-13

 

j0528-14

 

La route traverse une zone d'habitat secondaire avant d'arriver à Bougue. Une ville qui a manifestement investit pour se mettre en valeur. Un monument massif dédié au chemin de Compostelle indique Saint Jacques à 970 km. Une distance toujours aussi abstraite, mais déjà moins que les 2543 km indiqués à Rocroi. Une confidence ? Cela fait longtemps que je ne note plus le kilométrage journalier parcouru. Quel intérêt ? Tous les pèlerins empruntent la même route et feront les mêmes kilomètres jusqu'au but. Le pèlerinage n'est ni une course, ni un exploit sportif.

 

L'église, impeccablement restaurée, s'ouvre sur un porche soutenu par quatre colonnes en bois, torsadées et sculptées, du plus bel effet. Mais la porte en est fermée. Tant pis. Tout est un peu trop beau et lisse par ici. Jamais content le pèlerin !

 

j0528-15

 

j0528-16

 

j0528-17

 

 

Jusqu'à l'étape de Mont-de-Marsan, il ne reste plus qu'à parcourir une longue, très longue, ligne droite, ancienne voie de chemin de fer transformée en piste cyclable. Elle est jalonnée de jolis panneaux explicatifs racontant l'histoire d'un voyage en train aux temps jadis... Un gobemouche gris chasse l'insecte à partir d'une branche perchoir où il revient inlassablement se poser entre deux captures. J'observe son manège pendant plusieurs minutes. La fatigue commence à se faire sentir et tout est bon pour faire une pause.

 

j0528-19

 

j0528-20

 

A l'approche de la ville, la voie verte se peuple de promeneurs et de promeneuses de chiens. Avec les inévitables disputes qui surviennent au croisement des animaux dont le gabarit est parfois très inégal. Une dame me tient la jambe pendant un bon moment pour me dire tout le mal qu'elle pense de tel promeneur de chien que nous venons de croiser parce qu'il n'a pas retenu son gros molosse qui ennuyait sa petite « mirza ». Je compatis à ses malheurs, mais n'en pense pas moins.

 

Le refuge se trouve à l'entrée de l'agglomération, dans d'anciens bains-douches tout juste restaurés. J'y retrouve, outre Michel et Marie-Claire, pas très en forme ce soir, le groupe germano-hollandais d'hier soir. De sérieuses frictions commencent à s'y faire jour, les rythmes et philosophies de marche divergeant de plus en plus. La partie germanique de ce groupe improvisé marque clairement qu'elle ne prendra pas parti dans ce conflit et laisse les hollandais se chamailler. La discussion pourrait paraître franchement hostile à qui ne connait pas la franchise et le sens du direct de nos amis du nord. Il y a encore de la marge avant le point de rupture. Mais parviendront-ils ensemble à Compostelle ? Bien malin qui pourrait le dire. Nos routes, en tout cas, ne se croiseront plus.

 

Malgré tout, la soirée est agréable et se termine par une bonne nuit de sommeil. J'ai laissé les chambres aux autres, dormant pour ma part dans un corridor où sont installés deux lits. Le lendemain matin, ils seront tous partis sans que je ne m'en aperçoive, ou presque !

 

j0528-21

Partager cet article
Repost0
12 décembre 2012 3 12 /12 /décembre /2012 16:23

 

Le tee-shirt lessivé hier soir a séché pendant la nuit étendu sur le sac à dos. C'est parfait. Après un petit-déjeuner joyeux, nous embarquons à nouveau dans la voiture de notre hôte qui nous ramène sur le chemin. Nous avions espéré secrètement qu'elle nous rabote l'itinéraire d'aujourd'hui de quelques kilomètres, mais nous en sommes pour nos frais. Elle nous dépose à un carrefour en pleine forêt d'où il nous faut marcher pour rejoindre le chemin officiel. En l'occurrence, les bords de l'autoroute en construction. Pour quelques centaines de mètres, nous partageons la route avec les camions bennes et les bulldozers qui s'activent avant l'arrivée du bitume. Marie-Claire, Michel et moi marchons ensemble, sans vraiment marcher ensemble. Je prends délibérément une pause un peu plus longue pour les laisser prendre de l'avance. Chacun a besoin de sa propre respiration.

 

j0527-01

 

j0527-02

 

Peu après l'autoroute, ce sont des bucherons espagnols qui chargent leurs stères de bois sur des camions tout aussi espagnols. Ils viennent nettoyer la forêt après les tempêtes qui ont laissé un nombre impressionnant de chablis. Plus loin, je traverserai de véritables dévastations d'arbres brisés, enchevêtrés les uns aux autres comme des bâtons de mikado. Spectacle de fin du monde !

 

j0527-03

 

j0527-08

 

Les chemins sont toujours aussi droits, la route toujours aussi monotone. Mais c'est le matin, l'esprit est encore alerte et plein d'entrain ! Soudain, le balisage quitte la route rectiligne et s'engage sur un sentier de traverse. La forêt prend un air plus sauvage, un peu moins cultivé. Un étang surgit, occasion d'une pause bien méritée. Sombre, presque noire, et pourtant transparente, l'eau offre un miroir étincelant au ciel. Des joncs et des plantes aux magnifiques fleurs jaunes s'accrochent aux berges de sables fins. J'ai l'impression d'être transporté dans les Fagnes, non loin de chez moi. L'endroit dégage un calme et une sérénité étonnante. Je m'assied au bord de l'eau. La tentation est trop forte. Chaussures et chaussettes glissent sur le sol et me voilà les pieds dans l'eau, savourant cette détente au naturel. Quelque chose m'empêche d'aller plus loin. On n'est jamais aussi libre qu'on le voudrait !

 

j0527-04

 

Peu après, le chemin longe un élevage de canards. Les volatiles sont agglutinés sous l'ombre des arbres. Y aurait-il du foie gras au menu ce soir ? Un petit magret ? Heureusement que l'odeur de l'élevage ne vogue pas jusque dans nos restaurants car il y a de quoi vous couper l'appétit !

 

j0527-05

 

Premier et unique village du jour : Bourriot-Bergonce. L'épicerie a des airs de cabane canadienne ou de refuge montagnard. Il y a ici une atmosphère étrange d'intimité, de familiarité et de distance. L'intérieur n'est pas aussi achalandé qu'on aurait pu s'y attendre, mais il y a tout ce qu'il faut pour ravitailler un pèlerin de passage. Quant à l'église, son architecture typique, différente de tout ce que j'ai vu jusque là, parle à mon âme romane. Le clocher mur est le signe incontestable que nous sommes entré dans un nouveau Pays à part entière.

 

j0527-06

 

j0527-07

 

Entrée dans la forêt de Lugaut qui n'a rien à envier à Brocéliande. L'ancienne voie ferrée la traverse à hauteur des futaies, avec des perspectives magnifiques sur ces arbres qui n'ont plus rien à voir avec le stéréotype de la forêt landaise. Nous sommes dans une vraie forêt ! Et au cœur de celle-ci, un petit joyau : la chapelle romane de Lugaut et ses fresques du XIIIème siècle. Malheureusement la chapelle, isolée en plein bois, est fermée.

 

j0527-09

 

j0527-10

 

j0527-11

 

C'est l'heure du dîner et nous nous retrouvons avec mon couple favori pour casser la croute et faire une bonne sieste. Une bergeronnette familière vient voir quels sont ces intrus qui squattent son domaine. Une mésange va nourrir ses petits, bien à l'abri dans une cavité creusée dans un tronc de chêne. Un petit gîte d'étape voisine la chapelle. J'en photographie les renseignements affichés à l'entrée : qui sait, peut-être aurais-je un jour l'occasion de revenir ici pour un séjour d'ermite !

 

j0527-12

 

j0527-13

 

La suite du chemin est à l'image de ce qui précède : longue ligne droite jusqu'à l'approche de Roquefort. Puis, c'est une succession de petits étangs alors que le chemin se fait plus proche d'une rivière. Et de restes industriels aussi, genre station d'épuration en ruine.

 

Roquefort. Au café renseigné dans le topoguide, on nous indique le refuge. Sur le chemin, rencontre de l'hospitalier. Il nous annonce aussitôt : « Ah non, tout est complet aujourd'hui ! » Puis part d'un grand éclat de rire. Nous sommes les premiers pèlerins du jour, bientôt rejoints par un groupe hétéroclite germano-hollandais. Michel et Marie-Claire me proposent de célébrer la messe, ce soir, au refuge. Les autres pèlerins ne sont pas contre. Je sors donc mon petit matériel et nous préparons la table. Je célèbre en français, avec quelques passage en anglais pour les non-francophones. C'est un moment d'intériorité partagée que chacun semble apprécier à sa façon. C'est la seconde fois que je célèbre ainsi à la demande de mon couple belge.

 

j0527-14

 

La soirée et le repas qui suivront, durant lequel nous chanterons, unique fois de toute cette voie de Vézelay, le chant des pèlerins que nous apprend l'hospitalier, complètent heureusement cette fin de journée. Durant le repas, l'hospitalier fait tout pour nous décourager d'emprunter le camino frances en Espagne  : c'est l'autoroute, la guerre pour les places en refuge, l'enfer quoi ! Son conseil : prendre le chemin du nord, le chemin de la côte. Pour ma part, j'ai déjà choisi et je ne changerai pas. Marie-Claire et Michel sont également confortés dans leur option. Nous nous séparerons donc à Saint-Palais.

 

La nuit sera calme, malgré la promiscuité toute relative et l'internationalité des coutumes nocturnes...

Partager cet article
Repost0