30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 12:32

La polémique agite de façon récurente le petit monde des jacquets. Vrais pèlerins, faux pèlerins, randonneurs, touristes... Chacun y va de sa petite définition tant le désir de classer en catégories semble viscéral à l'esprit humain. Une chose est sûre, tout le monde marche sur le même chemin et tout le monde a une bonne raison de s'y trouver. Un des lieux communs du camino est qu'on commence randonneur et qu'on finit pèlerin. Peut-être. J'en connais qui ont commencé pèlerins et ont fini touristes à Fisterra. Et alors ?

 

Qu'y a-t-il derrière ces distinctions à première vue faites pour séparer les bons des mauvais ? Chacun vit cette expérience à sa manière, avec ce qu'il est, d'où il vient, ses préjugés, ses attentes, son histoire et sa culture. Et chacun cherche son chat... Chacun s'attend à ce que les autres vivent la même aventure d'une façon, sinon semblable, du moins comparable. Et quand cette façon s'éloigne un peu trop de la manière de voir qui est la nôtre, nous risquons de juger celui qui s'en écarte et de voir en lui un faux pèlerin ou, en tout cas, un moins pèlerin que nous. Pas moins de 40 kilomètres par jour pour l'un, à peine une douzaine pour un autre. Celui-là porte son sac et marche toute l'étape. Cet autre se fait déposer ses affaires à l'entrée du refuge. Celui-ci prend le bus ou le taxi en catimini. Celui-là entre dans toutes les églises, quand un autre fait tous les cafés du chemin. Celui-ci aime le silence et cet autre marche avec les écouteurs vissés aux oreilles. Celui-là a laissé son gsm au fond du sac et cet autre y cause à tue-tête à la première occasion... Tant de manières de vivre un même chemin. Faut-il séparer le bon grain de l'ivraie ? Et d'ailleurs comment distinguer ?

 

Intuitivement, tout ce qui diminue l'austérité pèlerine fait rétrograder le contrevenant sur l'échelle du pèlerin. C'est pourquoi priorité est donnée dans les refuges aux piétons sur les cyclistes et à ceux qui portent leur sac sur les autres. Juste récompense de l'effort. Mais faut-il aller plus loin ?

 

Une autre tendance consiste à refuser toute différence. Un pèlerin est un pèlerin et celui qui émettrait un jugement négatif à l'encontre d'un tire-au-flanc se voit reprocher son intolérance et son sectarisme. A chacun son chemin. Pourtant, cette tolérance a bien du mal à se concrétiser quand ses défenseurs se sentent discriminés à leur tour par des partisans du moindre effort dont on a déposé les sacs bien à l'avance devant l'entrée du refuge par la grâce d'une discrète mais efficace camionnette.

 

Celui qui marche va assez spontanément se retrouver parmi ses semblables, ceux qui partagent les mêmes goûts et les mêmes habitudes. C'est d'ailleurs ainsi que la rencontre se transforme en connaissance puis en partage et en cheminement commun. Dès lors, le regard sur autrui se renforce et l'on se retrouve cataloguant les uns et appréciant les autres, presque malgré soi.

 

A cet état des choses, un seul remède. La rencontre et le dialogue. Deux souvenirs me reviennent en mémoire.

 

Arrivant au refuge de Ribadiso de Baixo, magnifiquement situé au fond d'une vallée ombragée, la colère agite notre petit groupe belgo-dano-coréen face à une troupe scoute dont les intendants déposent les sacs devant l'entrée du refuge, alors que nous venons d'arriver et que les scouts ne sont pas encore là. Nous ne nous retenons pas pour leur faire savoir notre façon de penser à ces voleurs de places et nous posons d'autorité nos sacs devant les leurs avec un sourire de défi. Comme nous jubilerons en apprenant plus tard que le responsable du refuge les a fait attendre jusqu'au dernier moment avant de les accepter in extremis, ces faux pèlerins qui ne portent pas leurs sacs ! Pourtant, le lendemain, les dépassant dans une montée, - tiens, ils étaient donc partis plus tôt que nous ce matin, qui sont les vrais pèlerins maintenant ? - je lierai connaissance avec un de leurs chefs et nous sympathiserons sans réserve, nous découvrant quelques points communs... Les aurais-je jugé si durement si je les avais connu avant ? Sans doute que non ! Méritaient-ils notre colère hier soir ? Je n'en suis plus si sûr. Mener une troupe de scouts délurés sur ce chemin n'est pas une sinécure. Tout bien considéré, transporter leurs sacs étaient peut-être la seule manière de leur permettre de vivre cette aventure. Qui suis-je pour juger ?

 

Plus tard, dans un refuge sur la route de Fisterra, notre groupe élargi d'un contingent d'allemands prendra en grippe une malheureuse pèlerine occupant le dernier lit de notre dortoir et isolée parmi nous. Nous nous moquerons d'elle, à peine gentiment, pour une obscure raison dont je ne me souviens même plus. Elle n'entrait pas dans les catégories de pèlerins acceptables selon les règles tacites de notre groupe. Pour la première, et la seule fois d'ailleurs, je ne me sentirai pas fier, ni de moi, ni de mes compagnons d'occasion. La logique de clan l'aura emporté sur les supposées valeurs d'ouverture et de tolérance pèlerine. Si, au lieu de juger, nous avions fait connaissance ? Mais trente jours de marche ont usé notre capacité de rencontre. Malgré tous nos beaux discours et nos nobles principes.

 

Alors qui sont les authentiques pèlerins ? J'ai envie de transformer la question, comme Jésus l'a fait pour celui qui lui demandait "Mais qui est mon prochain ?" Au terme de la parabole du bon samaritain (Lc 10, 25-37), il retourne en effet la question à son envoyeur : "De qui t'es-tu montré le prochain ?" Inversion de perspective. Ainsi, plutôt que de se demander qui sont les pèlerins authentiques, et les autres, demandons-nous plutôt : "De qui me suis-je fait le compagnon pèlerin et à qui ai-je refusé ce cadeau ? "

 

Finalement, peu importe qui des autres sont les vrais pèlerins et les faux. La seule question qui compte, et à laquelle je puisse répondre, est de savoir si, moi, j'en ai été un !

 

Vrais et faux pèlerins
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commentaires

A
Qui es tu toi pour me juger ? Une autre phrase souvent oubliée sur le chemin
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