28 août 2014 4 28 /08 /août /2014 12:16

Sans s'être concertés, Jan, Nina et moi partons ensemble. Nina et son amie Gianna ont eu des mots hier soir et chacune marche de son côté. Jan n'est pas insensible au charme germanique, mais Nina s'en amuse, non sans évoquer l'air de rien son copain qui l'attend en Allemagne. Reste le plaisir de la compagnie. Bientôt, David nous rejoint et c'est à quatre que nous ferons toute l'étape d'aujourd'hui. Depuis les Pyrénées et le dernier jour partagé avec Michel et Marie-Claire, je n'ai plus marché de concert avec d'autres pèlerins. Mais nous nous accordons sans difficulté et marchons d'un même rythme, dépassant nombre de pèlerins partis plus tôt que nous de Palas de Rei.

De Palas de Rei à Ribadiso de BaixoDe Palas de Rei à Ribadiso de Baixo

Hameaux, églises, ponts romans, murets de pierres, horeos, la Galice se montre sous son meilleur jour, d'autant que le soleil est revenu. David est fidèle à sa réputation de bout-en-train. J'essaie d'en savoir plus sur son appartenance aux skinheads qui ne laisse pas de m'étonner, mais il s'agit surtout pour lui d'être dans une identité alternative dont il se plaît à brouiller les cartes. Je préfère parler avec lui des Philippines. Il en a une nostalgie ambiguë, comme toute les nostalgies sans doute. Image idéalisée, cultivée même, et crainte de retrouver une réalité qui ne lui correspond plus. Soudain, la conversation dérape dans le non-sens et le surréalisme dont le goût nous réunit. Devant les yeux ébahis de Jan et Nina qui n'y comprennent rien, nous échangeons des mots d'oiseaux en renchérissant à chaque phrase :

- Qu'est-ce qui te fait croire que nous sommes amis ? En fait, tu es complètement inintéressant et stupide. Jamais entendu autant de clichés et d'idioties dans la bouche de quelqu'un. D'ailleurs tu es belge et les belges, c'est bien connu, ne mangent que des frites.

- Si je marche avec toi, c'est par pitié. Avec ta casquette ridicule et tes tatouages, tu ferais peur à ma grand-mère. Personne ne t'aime. Et en plus tu as des origines philippines. A-t-on idée ? Il paraît qu'ils mangent du riz même au petit-déjeuner. Franchement !

Moment de jubilation intense où nous déroulons, comme en apesanteur et sans savoir où cela nous mènera, le fil de notre improvisation absurde.

"You are the best not-friend I ever met !" est la conclusion hilarante de ce délire partagé. L'expression restera et jusqu'à la fin du camino, nous ne nous appellerons plus désormais qu'ainsi : "Hi, how are you my best not-friend ?"

De Palas de Rei à Ribadiso de Baixo
De Palas de Rei à Ribadiso de BaixoDe Palas de Rei à Ribadiso de BaixoDe Palas de Rei à Ribadiso de Baixo

Passage par la borne des cinquante kilomètres. Nous entrons dans d'immenses futaies d’eucalyptus. Ces arbres droits et fins aux feuilles clairsemées laissent miroiter à travers leur couvert végétal mille-et-uns éclats vibrant de lumière. Ils donnent au chemin un petit air de forêt tropicale aux accents impressionnistes. Sans parler du parfum léger de fumigation antitussive qui envahit l'atmosphère. Pays surprenant qui a l'art de nous faire sentir toujours à nouveau ailleurs...

 

Les horeos, tantôt délabrés, tantôt en parfait état finissent par nous livrer leur secret. Une porte entrouverte laisse en effet apercevoir les épis de mais qui y sont entreposés. De temps à autre, nous dépassons d'étonnant pèlerins aux bagages réduits à leur plus simple expression. Nous imaginons la camionnette qui transporte leurs immenses valises de refuges en refuges. Et pourtant, je ne les envie pas. J'éprouve une certaine fierté à porter mon sac, le sentiment d'avoir tout avec moi, tout en moi, pour faire la route, pour tracer et vivre mon chemin. Non pas comme un ermite qui n'aurait besoin de personne, mais comme l'être qui, assuré de lui-même, peut s'ouvrir et vraiment recevoir d'autrui les surprises et les cadeaux que ceux-ci lui réservent. En leur rendant, de temps en temps, et sans en avoir conscience, la pareille. Décidément, ce chemin se révèle plein de métaphores.

De Palas de Rei à Ribadiso de Baixo
De Palas de Rei à Ribadiso de BaixoDe Palas de Rei à Ribadiso de Baixo
De Palas de Rei à Ribadiso de BaixoDe Palas de Rei à Ribadiso de Baixo

Arrêt dans une église et pause à la terrasse d'un café-bar un peu à l'écart du chemin. Marcher ensemble signifie aussi ne plus être seul maître à bord et entrer dans les coutumes des autres. Et les pauses bar font manifestement partie de leurs habitudes. Il y a des changements plus désagréables que celui-là !

 

Peu après une portion de forêt détruite par un incendie, le chemin commence à descendre vers la rivière où se blottit notre futur refuge. Une pèlerine espagnole à hauteur de laquelle nous sommes arrivés met subitement le turbo et ne se laisse pas dépasser. Sans un mot, nous entamons une course jusqu'à l'arrivée au refuge qui ne départage aucun vainqueur. Let me introduce Caroline, Spanish but born in Australia. Devant l'auberge, une file de sacs attend déjà avec impatience l'arrivée de l'hospitalier. Alors que nous nous posons à la fin de la queue, quelques chefs scouts commencent à débarquer d'une camionnette pas du tout imaginaire un tas de sacs dont on n'aperçoit pas un seul des propriétaires. Nous les soupçonnons de réserver la place pour une troupe qui n'est pas encore arrivée, et tant pis s'il n'y a plus de place au refuge pour ceux qui arriveront après eux. Notre sang ne fait qu'une tour et quand Hyon Suk et Scarlett arrivent, Jan et moi prenons d'autorité leurs sacs et les plaçons devant ceux des scouts dont on attend toujours l'arrivée. Un peu de justice dans ce monde ne peut que nous faire du bien. Quant à l'hospitalier, il ne sera pas dupe de la manœuvre et n'autorisera les scouts à entrer que lorsque tous les autres pèlerins auront trouvé une place à l'auberge.

De Palas de Rei à Ribadiso de BaixoDe Palas de Rei à Ribadiso de Baixo

Longue douche et courte lessive. La rivière nous tend les bras. Je commence pourtant par une petite promenade solitaire dans les environs pour en explorer les berges. A nouveau, j'ai du vague-à-l’âme. Est-ce l'approche de Santiago et la fin du périple qui se profile ? J'ai besoin d'une dose de solitude. Je me l'octroie en compagnie des libellules multicolores qui rôdent aux alentours de la rivière. Ce que le pèlerinage a gagné en échanges et en contacts, il l'a perdu en intériorité. De spirituel, il est devenu relationnel. Que manque-t-il pour que ces deux dimensions se rejoignent ? Sans doute de partager une profondeur et une authenticité que le nombre et, j'ose le dire, la jeunesse ou la superficialité de certains, ne permet pas. Je ne m'en plains pas, mais quelque chose manque. La maturité tranquille des retraités français peut-être, et une familiarité avec la dimension intérieure de l'être.

De Palas de Rei à Ribadiso de Baixo
De Palas de Rei à Ribadiso de Baixo

Mon quota de misanthropie atteint, je rejoins le groupe qui fait trempette dans la rivière. L'eau est froide et le plaisir n'est qu'à moitié au rendez-vous. Tout le monde est là, y compris Julius et Caroline qui se joint progressivement à nous. Ce soir, j'apprendrai le début de son histoire de pèlerine. Partie avec un groupe d'amis, elle a rapidement ressenti les dissensions qui divisaient le groupe et les manières divergentes de concevoir le chemin. Après qu'elle ait été, selon son expression, abandonnée par ses "amis", elle a décidé de marcher seule. Elle nous a observé hier au refuge de Palas de Rei et notre manière d'être lui a plu. Elle a donc décidé de se joindre à nous si par le plus grand des hasards, elle nous revoyait et que nous l'acceptions. Ce qui est donc chose faite. Ainsi va la vie du chemin.

De Palas de Rei à Ribadiso de BaixoDe Palas de Rei à Ribadiso de Baixo
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