19 août 2014 2 19 /08 /août /2014 11:43

Je laisse la foule suivre le balisage officiel et suis à la lettre les instructions de mon topo-guide qui, cette fois, ne m'abandonne pas. Je traverse une forêt de hauts sapins avant de rejoindre la cohorte pèlerine, trop tôt à mon goût. Cet itinéraire bis n'aura duré que le temps d'un soupir.

 

Ce premier jour en Galice est une succession de cols, alto de San Roque, alto do Poio et d'églises outrageusement restaurées qui contrastent avec la pauvreté des villages et les occupations séculaires de leurs habitants. Ici, c'est une fermière qui part biner son jardin potager, là deux paysans conduisent leur troupeau sur la route, ailleurs encore, un couple mène deux vaches récalcitrantes au pré. La couleur des pierres et l'atmosphère du pays me rappellent la Creuse ou l'Irlande. Que la Castille, ses cultures immenses et sa couleur ocre omniprésente, semble loin vue d'ici. Je retrouve avec plaisir le vert d'une végétation luxuriante et le gris des murets de pierres et des maisons calfeutrées en petits villages. Qui dit vert, dit aussi humidité, mais pour l’instant le temps est au beau fixe. Qui s'en plaindra ?

Du Cebreiro à Triacastella
Du Cebreiro à TriacastellaDu Cebreiro à Triacastella
Du Cebreiro à TriacastellaDu Cebreiro à Triacastella
Du Cebreiro à Triacastella

La marche solitaire contraste également avec l'amitié et les rires partagés des soirées. Enfin, solitaire est un grand mot car il ne manque pas de pèlerins. Mais les rythmes de marche propres à chacun font que nous ne nous gênons jamais et qu'il est simple de s'isoler si l'on veut vraiment être seul.

 

Les horizons sont vastes mais n'ont plus l'infinité de ceux de la Meseta. Partout, les montagnes barrent le ciel et offrent un endroit où poser et reposer son regard. La marche en est plus fluide et coule d'un col à l'autre, d'une route à l'autre, d'un village à l'autre. La journée passe à toute allure. L'étape sera courte. J'ai décidé de ne pas me presser et je m'y tiens. Pourquoi accélérer d'ailleurs, ou doubler les étapes ? Cela signifierait se séparer définitivement de ses compagnons de route. Bien sûr, cela voudrait dire aussi en retrouver d'autres, mais je n'ai plus le cœur au butinage pèlerin, comme aux premiers jours de la Navarre où chaque nouvelle rencontre était une découverte et où chaque nouveau visage ouvrait la possibilité d'une nouvelle rencontre. Je préfère approfondir ce qui a été commencé, sans pour autant me fermer à de nouvelles connaissances. L'occasion va m'en être donnée plus tôt que je ne le pense.

Du Cebreiro à Triacastella
Du Cebreiro à TriacastellaDu Cebreiro à Triacastella
Du Cebreiro à TriacastellaDu Cebreiro à Triacastella

Le chemin commence sa descente vers Triacastella, l'étape d'aujourd'hui. A mi-pente, un vénérable village nous offre ses châtaigniers multiséculaires aux énormes troncs tourmentés par les ans. Combien de pèlerins ont-ils vu passer ? Et combien d'amours et de drames villageois gardent-il dans leur mémoire noueuse ? Ce pays a quelque chose de rude, d'âpre, de dur même, et en même temps, il respire la paix et la tranquillité. A l'écart du chemin, là où aucun touriste ni aucun pèlerin ne passe jamais, la vie doit être quasi érémitique. C'est un pays qui mériterait d'être exploré et sillonné pour lui-même. Il aurait certainement bien des secrets à délivrer.

Du Cebreiro à TriacastellaDu Cebreiro à Triacastella

Pour l'instant, nous arrivons à Triacastella. Trop tôt pour que le refuge soit ouvert. Nous patientons en sirotant une glace dans un café, juste en face de l'auberge municipale nichée au fond d'un petit vallon. Dit comme ça, cela sonne romantique, mais en terme d'auberge, cela ressemble plus à des containers en préfabriqué qu'à une demeure historique. Pourtant, quand il ouvre, nous découvrons de charmantes petites alcôves où dormir à deux ! Quel luxe, quel intimité ! Je partagerai bien sûr la mienne avec Jan.

 

Parmi tous les pèlerins rencontrés aujourd'hui, je ne peux pas ne pas signaler une étrange pèlerine japonaise, au visage blanchi comme une geisha qui aurait oublié de se refarder depuis quelques jours. Elle sourit à tout va et fait signer sa coquille Saint-Jacques à tout personne avec qui elle a lié connaissance, avant de se confondre en remerciement et en multiples courbettes. Je l'ai vue pour la première fois au Ceibreiro et même aux yeux de Hyon Suk, sa façon d'être paraissait excessive. Avec un mélange de naïveté et de simplicité désarmantes. Pour un peu, on la dirait légèrement handicapée, mais sa façon de marcher ne le cède à aucun d'entre nous. Le plus beau est de voir comment tout le monde se met en quatre pour l'aider, surtout dans sa communication parfois laborieuse avec les espagnols qui ne savent comment prendre sa façon d'être. Elle a l'art de déclencher des élans de générosité et de gentillesse tout autour d'elle. Et en même temps, elle veille jalousement à son autonomie et à son intimité. Une étoile filante sur ce camino. Je la croiserai trois jours de suite, puis la perdrai de vue, non sans en entendre encore souvent parler jusqu'à la fin.

 

Triacastella est entièrement consacré à la satisfaction du pèlerin : auberges et surtout restaurants en enfilade dont les terrasses obstruent la rue centrale, l'unique rue dirait-on, du village. L'église, un peu à l'écart, offre un havre de paix. Qui s'évapore dès que le curé se prend l'envie de communiquer sa passion aux malheureux de passage. Ses explications doivent être passionnantes, mais j'en perds rapidement le fil et je m'enfuis un peu honteux de ne pas soutenir le brave homme tout content de tenir un auditoire attentif. Heureusement, les autres pèlerins pallieront à ma défaillance.

 

A l'heure du souper, c'est toute une délégation qui part ensemble du refuge, rassemblée et menée par Jan dont j'admire l'entregent. Se sont joints à nous, Hyon Suk, Jan et moi donc, un hollandais solitaire et tout un groupe d'allemands parmi lesquels Gianna, Nina et la fameuse âme en peine qui m'avait fait du gringue sur le chemin entre Villar de Mazarife et Astorga. En riant sous cape, les autres allemandes me soufflent qu'elle n'en est pas à son coup d'essai et que tout mâle passant à proximité est en grand danger de subir ses tentatives opiniâtres, sinon désespérées. Ce soir, Jan en sera manifestement la cible consentante. Le repas est étonnamment bon pour un menu del peregrino. La joie coule à flots, comme le vin qui ne nous est pas mesuré. La soirée ressemble plus à une guindaille d'étudiants qu'à un rassemblement de pèlerins. Si ce n'était l'heure étonnamment précoce de notre repli vers l'auberge où nous discutons encore un peu dans l'espace communautaire avant de nous plonger avec délice dans une longue nuit réparatrice.

Du Cebreiro à Triacastella
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