17 avril 2014 4 17 /04 /avril /2014 17:32

Ce matin, nous partons à l'assaut des Montes de Oca dont la terrible réputation donnait des sueurs froides aux pèlerins du Moyen-Age : bandits et détrousseurs de grand chemin, meutes de loups, sentiers se perdant dans la forêt... Aujourd'hui, ni brigands, ni loups et, en guise de chemin, une autoroute forestière pour touristes aveugles. Premier objectif : le monastère de San Juan de Ortega, autre grand bâtisseur de route, après Domingo de la Calzada. Jusqu'il y a peu, ce monastère était célèbre pour son padre Maroquin et sa fameuse soupe à l'ail. Il y reste toujours un refuge, mais sa réputation n'est plus à la hauteur de sa légende, si l'on en croit les bruits du chemin.

 

Nous quittons, les retraités français et moi, Villafranca par le chemin qui démarre derrière le village et s'élève rapidement dans la foret de chênes verts. Une pluie fine se met à tomber qui se transforme bientôt en déluge. Encapsulé dans ma veste de pluie et mon pantalon imperméable, je me sens tel un cosmonaute lors d'une sortie spatiale. Les sons extérieurs me parviennent, filtrés par le capuchon et couverts par le bruit des gouttes qui tombent sur le gore-tex. Je me mets en mode off et avance à toute berzingue, ne regardant que le mètre devant mes pieds. C’est une véritable traversée en immersion, dans un semi-brouillard de nuage et de pluie. Je ne vois rien de cette fameuse forêt des Montes de Oca. Rien non plus du monument aux morts de la guerre civile espagnole au sommet du col. Rien, sinon le bout de mes orteils et le pèlerin suivant que je tente de dépasser pour maintenir le rythme. Le chemin, de plus en plus large, me paraît aussi de plus en plus long. Je suis comme un nageur qui fait ses longueurs, l'esprit vide, sans penser à rien. Aucune protection n'étant parfaitement imperméable et respirante, je ne tarde pas à être trempé de l'intérieur et je sens l'humidité qui dégouline insidieusement du cou le long de la colonne vertébrale jusqu'à un endroit que je ne nommerai pas ici. Ne penser à rien. Avancer. Avancer. Avancer... Enfin, des bâtiments se profilent au bout de la route et un panneau annonce San Juan de Ortega.

De Villafranca Montes de Oca à AtapuercaDe Villafranca Montes de Oca à Atapuerca

Je me précipite dans l'église du sanctuaire. Enfin un abri. Je me déharnache précipitamment des différentes couches de protection qui ne protègent plus rien du tout. Seul, dans l'édifice silencieux et clair-obscur, je conclus ma visite plus vite que je ne voudrais car je commence à grelotter. Dehors, l'orage continue de plus belle. Au moment où je m'apprête à renfiler en maugréant mes vêtements glacés, Guy déboule dans le porche d'entrée, couvert de sa cape dégoulinante. Nous éclatons de rire en nous regardant mutuellement, mouillés, ébouriffés et complètement frigorifiés. Prenant mon courage à deux mains, je repars sous la douche, sans même jeter un coup d’œil au refuge ni à la tienda qui semble bondée et dans laquelle le couple des sympathiques finlandais s'apprête à entrer.

De Villafranca Montes de Oca à AtapuercaDe Villafranca Montes de Oca à Atapuerca

C'est décidé, je m'arrêterai au prochain village : Atapuerca. Celui-là ou le suivant, de toute façon, je ne pourrai atteindre Burgos aujourd'hui. Autant cesser ce supplice le plus rapidement possible. Je ne suis pas partisan du dicton anglo-saxon "no pain, no gain". Naturellement, au moment où le village espéré s’approche, la pluie s'arrête comme par enchantement. Juste de quoi profiter du dernier kilomètre de macadam.

 

Tour d'inspection du village. Le refuge municipal ressemble à une école en préfabriqué aux parois aussi minces que du carton. Fermé jusqu'à treize heure trente. Plus haut dans le village, non loin de l'église, l'auberge d'une association quelconque à l'air plus rustique. Fermé jusque treize heure. Cette demie-heure fera la différence. En attendant, direction le café du centre, tenu par une française originaire de Toulouse. Quel bonheur de se réchauffer, simplement assis à une table, un thé bouillant devant soi et de faire la conversation en français. Au cours de celle-ci, nous apprenons que la tenancière n'est autre que la responsable du refuge convoité et qu'il n'y a qu'à entrer par la porte ouverte, quelque soit l'heure. Retour donc au sommet du village et découverte d'un petit refuge très, très, rustique, très, très glacé, mais qui se remplit à toute vitesse. Dehors, la pluie a repris, mais, en bon égoïste, cela n'a plus d'importance. Home sweet home !

De Villafranca Montes de Oca à Atapuerca

Lorsque les inscriptions sont ouvertes, nous apprenons deux nouvelles importantes. Une place est réservée pour nous au restaurant privé de l'association et, exceptionnellement, nous pourrons faire du feu dans le poêle de la petite avant-pièce qui sert de hall d'entrée au dortoir. Ni une, ni deux, nous nous retrouvons bientôt à une dizaine, serrés comme des sardines autour du poêle surchauffé, faisant sécher (et parfois fondre) chaussures, chaussettes, tee-shirts et pantalons, suspendus par tous les moyens possibles et imaginables au dessus du feu. La conversation roule dans toutes les langues, enfin surtout l'anglais, le français et l'espagnol, selon la nationalité des uns et des autres. Outre les retraités français, encore eux !, tous les autres pèlerins me sont inconnus. Un grand belge semble exercer une sorte de leadership moral sur quatre ou cinq étudiants qui en parlent comme d'une personnalité marquante avant qu'il ne nous rejoigne. Il a, en effet, le verbe facile. Méfiance, je n'aime guère les personnalités "gourou". Je préfère lier contact avec mon voisin qui me parle d'une année vécue en Amérique du Sud, au Chili. Un autre se met à chanter en anglais et ceux qui connaissent reprennent en chœur. Plus rien n'existe, soudain, que cette fraternité momentanée du camino qui nous rassemble autour de ce poêle, en cette après-midi pluvieuse de juin, au milieu de nulle part : village Atapuerca, région Castille, pays Espagne, continent Europe, planète Terre. La vie est simple comme ce bonheur brûlant et mouillé.

 

Avant le souper, promenade dans le village. Cinq rues, trente maisons, et une église. Je croise Hyon Suk, la pèlerine coréenne rencontrée hier soir, qui erre comme une âme en peine. Le refuge municipal n'est pas chauffé et elle désespère de trouver un endroit pour se réconforter, le café étant fermé pour cause de sieste nationale. Je l'invite pour partager notre souper de ce soir à venir s'inscrire au restaurant jouxtant le refuge. Hélas, pas moyen de fléchir le tenancier : repas strictement réservé aux utilisateurs du dortoir de l'association. Cette règle, sans doute résultat d'un subtil compromis entre les différents protagonistes du village qui se partagent la manne pèlerine, ne fait pas notre affaire. Elle s'en va, aussi dépitée que moi, chercher son salut ailleurs. Quant au repas du soir, il sera excellent, partagé à la table des... retraités français, comme on s'en serait douté, avec, en bruit de fond, la retransmission d'un match de coupe du monde. Une soirée réussie et chaleureuse, une de plus, avant une nuit glacée dans un dortoir que le poêle, malgré toute sa bonne volonté, n'a pas réussi à réchauffer.

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