24 mars 2014 1 24 /03 /mars /2014 21:19

Le chemin continue de dérouler ses ondulations dans une vaste plaine encadrée de collines basses et plus loin de montagnes arides. Ça et là des colonies d'éoliennes ont conquis les sommets. L'horizon est toujours immense et les perspectives vertigineuses. Le ciel est dégagé et promet une belle journée. Les couleurs sont aussi douces que le relief. Il fait bon marcher ainsi dans la campagne espagnole. Ce pays m'a conquis, définitivement.

De Los Arcos à Viana
De Los Arcos à VianaDe Los Arcos à Viana

Soudain, dans le repli d'une vallée, apparaît Torres del Rio, avec sa célèbre église octogonale bâtie sur un promontoire. Enfin, célèbre a posteriori, car je n'en avais jamais entendu parlé jusque là. Encore une surprise que le chemin nous offre. Idéalement, un pèlerin bien préparé aurait tout lu de ce qu'il est nécessaire de voir et d'admirer sur la route et saurait, chaque jour, quels arrêts obligatoires l'attendent. Mon guide, très bien fait à cet égard, me permettrait d'ailleurs de jouer les érudits. Mais je préfère laisser un certain mystère au chemin et lui donner la chance de me dévoiler à sa manière ses surprises, ses émerveillements, ses ennuis et ses déceptions. Peut-être est-ce là aussi une des différences entre le touriste et le pèlerin ? A moins qu'il s'agisse simplement d'une question de caractère ? Parcourant un musée, je ne cherche jamais à savoir quelles sont les œuvres célèbres qu'il faudrait absolument voir. Je préfère me laisser guider au gré de mes goûts et de mes impressions. Et si une œuvre mérite vraiment le détour, elle n'aura pas besoin d'un commentaire pour me le faire savoir ! D'expérience, c'est la meilleure manière de découvrir les beautés inconnues devant lesquelles celui qui sait ne daigne pas s'arrêter puisqu'elles ne sont pas étiquetées "chef d’œuvre" !

De Los Arcos à Viana

A l'entrée de l'église-tour, une dame, assise derrière une petite table, en fait payer l'accès : un euro. Un pèlerin, français bien sûr, y voit une occasion de râler : "Quoi ! ? Payer pour visiter une chapelle ? Mais quel scandale ! " Je crois rêver ! Où la mesquinerie ne va-t-elle pas se cacher ?S'alléger d'un euro ne va pas nous tuer quand même...

 

L'intérieur est étonnant de sobriété. Un Christ en croix, roman de style, sinon d'époque, indique le chœur. Les chapiteaux, d'une beauté épurée, racontent la passion et la résurrection. Une rareté : les femmes découvrant le tombeau vide au matin de Pâques. Elles s'avancent, portant les aromates, sans voir encore, derrière l'angle de la pierre, le tombeau ouvert et l'ange qui les attend déjà pour leur annoncer la nouvelle. Mais c'est la voûte qui est une véritable prouesse architecturale avec ses entrelacs d'arcades qui passent du cercle au carré puis du carré au cercle. Le divin, l'humain, le divin. La création, la mort, la résurrection. Avis aux amateurs de symboles ! La quadrature résolue en direct par la grâce des bâtisseurs du Moyen-Âge. J'aime !

 

 

De Los Arcos à Viana

A la sortie du village, par la Calle Mayor, comme il se doit, la route s'élève dans les collines. Maquis, vignobles et champs d'oliviers forment un patchwork dont l'intimité contraste avec l'immensité de l'horizon. Les oliviers, en particulier, couvrent les flancs de la vallée d'un damier où le vert des feuillages rejoint les bruns foncés des tronc et presque blancs de la terre dans une étonnante harmonie de couleurs pastels. Ici et là, un champ de blé vient rompre cet unité des verts d'une tache de jaune bienvenue. Les abris qui jalonnent le chemin, igloos de pierre patiemment ajustées en cercles concentriques, ressemblent furieusement à ceux que j'avais vus sur les hauteurs de Chablis. Parenté improbable née d'une même fonction ? Nous nous arrêtons, Tri et moi, à l'ombre de l'un d'eux.

 

Dans ma poche, une crédenciale oubliée par une pèlerine ce matin au refuge. Nous pensons l'avoir identifiée : une allemande aperçue épisodiquement au gré des étapes. Et, bien sûr, l'improbable se produit. Là voilà qui s'avance à notre rencontre. Quand je lui demande si elle n'aurait pas perdu une crédenciale, "par hasard", un immense sourire illumine son visage et elle se répand en mercis émus, comme si on venait de lui rendre la vie. Ce petit bout de carton sans valeur, à mesure qu'il se remplit de tampons jour après jour, cesse très vite de n'être qu'un petit bout de carton et symbolise le chemin parcouru et l'expérience vécue. Combien je comprends sa réaction ! Pour rien au monde, je ne voudrais perdre le mien. Fétichisme mal placé ?

De Los Arcos à VianaDe Los Arcos à Viana
De Los Arcos à Viana

Viana s'approche. "Radio Camino" annonce qu'en raison de la fête à Logroño, étape prévue ce soir, le refuge sera fermé. Il est préférable de s'arrêter ici. Changement de programme donc et stop à Viana. Entre-temps, la météo s'est gâtée et c'est la pluie qui nous accueille en ville. Le refuge municipal est une cale de bateau, à l'étage pourtant, où l'on entasse les pèlerins en trois couches de lits superposés ! Une première ! Notre couple d'amies coréennes et japonaises, devant ce spectacle, recule et va se réfugier à l'auberge paroissiale qui jouxte l'église. Peut-être aurions-nous mieux fait de les imiter, mais nous resterons finalement dans ce hlm du pèlerin.

De Los Arcos à Viana
De Los Arcos à VianaDe Los Arcos à Viana
De Los Arcos à Viana

Soirée en demi-teinte, entre pluie et éclaircies. Je photographie un vieillard accoudé à la balustrade de la terrasse qui surplombe la plaine derrière l'église, seul moment de grâce dans cette morne fin de journée. Souper frugal, pain, tomates et viande séchée, dans le réfectoire du refuge, assis sur des gros bancs de bois entourant des tables non moins massives. Un groupe voisin fait la fête et se chamaille avec un plaisir communicatif. Nous participons de loin avant de rejoindre nos clapiers. Avec les mouvements alternatifs des trois dormeurs superposés, amplifiés par la hauteur du lit dont j'occupe la couche supérieure, ce sera mal de mer toute la nuit, mais un mal de mer qui, finalement, bercera mon sommeil plus qu'il ne l'empêchera. Tout est grâce !

De Los Arcos à Viana
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commentaires

A
"Et, bien sûr, l'improbable se produit"... en effet j'ai vécu la même aventure avec la perte d'un appareil photo. Et encore beaucoup d'autres "choses" durant mes différents caminos
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