15 mai 2014 4 15 /05 /mai /2014 12:50

Démarrage peu après 7h00. Devant moi, une ombre démesurée m'indique la direction à suivre. Ainsi en va-t-il tous les jours. Le pèlerin commence sa journée soleil dans le dos et l'achève soleil en face, vers cet Occident où finissent les terres et qui l'attire comme un aimant. Jamais la boussole solaire ne lui fait défaut. Double couche de produit solaire côté sud, sur la joue gauche, et rien de l'autre. Sinon, c'est un pierrot lunaire qui risque bien d'arriver à Santiago.

De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)
De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)

Le chemin s'élève progressivement vers la première meseta de la journée. Paysage rigoureusement identique à celui d'hier. Désertique et plein de vie. Peut-on se lasser de la beauté ? Voilà une question que je ne me pose pas. Je la respire, je l'absorbe par tous mes pores, par tous mes sens. Le fond de l'air encore frais contraste avec la chaleur qui s'annonce. Les oiseaux s'en donnent à cœur joie. N'est-ce pas un couple de linottes mélodieuses qui cherche sa nourriture au beau milieu du chemin ? Une tourterelle turque laisse entendre son roucoulement à nul autre pareil. Les mêmes tas de pierres blanches sont agrémentés des mêmes coquelicots rouges vifs. Le chemin tantôt ondule pour franchir un repli du terrain, tantôt se fait rectiligne et file vers l'horizon. Une haie d'éoliennes étrangement immobiles, comme désemparées au milieu de ce plateau, monte la garde dans l'attente de la brise qui les mettra en mouvement. En contrebas de la route, l'ébauche d'une vallée dessine une échappatoire arborée. C'est la vallée de San Bol et son refuge rustique. J'apprendrai plus tard que Jan y a passé la nuit, ses douleurs aux pieds ayant disparu. La pèlerine coréenne aussi, qui me dira : "I couldn't mis that occasion : a refugio in the middle of nowhere : it must be a place to meet strange people, and indeed it was..."

De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)
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De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)

Alors que la plateau semble s'étendre à l'infini, une échancrure l'entaille soudain qui plonge sur le petit village de Hontanas. La foule des pèlerins se pressent dans le premier café du hameau et j'y retrouve non seulement les retraités français, mais également l'allemand mal dégrossi d'hier soir. Est-ce la marche de ce matin ? Il a l'air de meilleure humeur et plaisante même avec Marité et Guy tout en tenant en équilibre un sandwich dans une main et deux boissons dans l'autre. Annie veut absolument que j'entre dans le café pour y admirer une statuette de Saint-Jacques. Je m'exécute et ajoute un cachet à ma crédenciale. Bien que tout le monde soit d'excellente humeur et que les plaisanteries fusent, allez savoir pourquoi, je n'ai pas envie de m'attarder. Juste le temps de remplir mes bouteilles à la fontaine du village et me voilà reparti sur les traces des retraités français.

De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)
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De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)

Le chemin emprunte à présent la vallée qui creuse le plateau. Les fragments d'une tour ou d'un mur rappellent la présence d'une église ruinée depuis bien longtemps. Valdemoro est le nom de ce lieu-dit : non pas Vol-de-Mort, mais Val-des-Maures. Les vautours sont de retour et cherchent leur pitance en planant majestueusement au-dessus du chemin. Je joue à l'accordéon avec Jean-Luc, le réunionnais qui colle aux basques de Guy depuis quasiment Le Puy. Ses paroles sont un curieux mélange de propos tout à fait sensés auxquels viennent se mêler des escapades lyriques dont il est difficile de saisir la logique. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne semble pas capable de s'occuper de lui-même et si Marité et Guy n'étaient pas là pour veiller à son alimentation, son hygiène et son logement, Dieu sait où il en serait aujourd'hui. Pourtant, tout lui semble dû et normal. Cette attitude commence à taper sérieusement sur les nerfs de Guy mais, pour une raison que j'ignore, il continue malgré tout de se sentir responsable du bonhomme. Combien de temps cela durera-t-il ? Toutes les patiences finissent par s'user. Guy rêve d'une grande explication qui remettrait tout d'aplomb, mais quelque-chose me dit que ce ne sera pas si simple.

De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)
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En attendant, j'ai accéléré pour lâcher ce compagnonnage qui commence à me peser et rejoins la route qui mène à Castrojeriz. Celle-ci passe sous une grande arche romane : c'est l'ancien couvent de San Anton. Arrêt obligatoire. Une partie des ruines abrite désormais un refuge à la sobriété certaine. L'ambiance doit y être à la hauteur de l'atmosphère que ces lieux dégagent, mais il est vraiment trop tôt pour m'arrêter. Je commence, l'air de rien, à faire une liste dans ma tête des refuges où j'aimerais faire halte lors d'un prochain pèlerinage. Ces quelques refuges à l'esprit différent, où l'accueil ne se résume pas à la couchette désignée et aux quelques euros empochés par l'hospitalier. Depuis l'expérience heureuse de Grañon, je sais qu'autre chose est possible et je me prends à rêver d'un peu plus de spiritualité offerte au fil du chemin.

De Hornillos del Camino à Castrojeriz (1/2)
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